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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Autobiographes de janvier

 

La revue Les Moments littéraires consacre, dans son numéro 53, un dossier à Santiago H. Amigorena. Né en Argentine, arrivé en France en 1973 avec ses parents fuyant la dictature, l’homme est engagé dans un vaste projet autobiographique dont sept volumes sont déjà parus chez P.O.L. En introduction, son ami Max de Carvalho décrit sa méthode en ces termes : « Il lui suffit (…) d’évoquer un fait disons réel (…), de désigner telle personne par le prénom (…) qu’elle a en effet porté peut-être (…), pour qu’aussitôt celle-ci et toute péripétie rapportée se changent en personnage romanesque et en pure fiction ».

 

Suit un entretien avec Gilbert Moreau, et un texte où Santiago H. Amigorena égrène ses souvenirs du Festival de Cannes, où se vendent et s’achètent « les films les plus improbables – westerns burkinabais, comédies érotiques moldaves, films de karaté du Kurdistan, mélos chantants du Bengladesh… ».

 

Dans le même numéro, on admirera les émouvantes photos que Bernard Plossu a prises de son épouse disparue en 2021, on lira les notes de Jean-Pierre Georges, et le journal tenu par Édith Msika pendant les trois semaines ayant précédé la mort de sa mère (« Personnage de roman, moi, fille d’une mère tellement folle de vivre (…) qu’elle veut follement mourir ? Personnage de roman ou grandiloquente danseuse à l’eau gazeuse ? »)

 

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Dans un fascinant et profond petit livre paru en 2000 chez Galilée et intitulé L’Intrus, Jean-Luc Nancy évoquait la transplantation cardiaque qu’il avait dû subir. Vincent Wackenheim, libraire, puis éditeur, auteur de nombreux livres, cite ce texte du philosophe dans Touché, greffé, qui vient de paraître à L’Atelier contemporain, et où lui-même raconte sa propre expérience d’une transplantation du foie.

 

On suit l’aventure depuis le coup de fil indiquant que c’est pour le lendemain à seize heures jusqu’au retour à domicile une centaine de pages et une quinzaine de jours après.

 

Entre les deux, description des modes opératoires, réflexions inspirées par le « simple et trivial constat » qu’il fallait « que quelqu’un d’autre meure » pour que la vie du greffé soit sauvée ; beaucoup d’humour, et plus encore d’érudition – Fontane et Bach, Paulhan et Calet, bien d’autres, avec Madame Bovary en leitmotiv. Notre homme, qui ne craint pas les excursus, consacre en particulier un chapitre subtil et précis sur le rôle que tient dans le roman de Flaubert la couleur bleue.

 

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Par les bons soins des éditions Québec Amérique, les livres de Jean-François Beauchemin continuent de nous parvenir.

 

Après Le Roitelet (2023, voir ici) et Archives de la joie (2024, voir ici), voici Trois ans sur un banc, paru au Canada en 2022. Assis sur son « banc préféré », l’écrivain québécois a écouté un jour les confidences d’un inconnu. Séduit par leur « pragmatisme rêveur », il a décidé de renouveler puis de systématiser l’expérience. Le résultat : une longue suite de courts textes signés chacun du nom de leur narrateur, regroupés par années (2018, 2019, 2020) mais, pour chaque année, présentés dans le désordre.

 

Pour la plupart, ils racontent des accidents, heureux, malheureux ou simplement singuliers. Ainsi de ce plongeur sous-marin avalé puis recraché par un rorqual (« Cette aventure, quoique spéciale, n’a rien de particulièrement surprenant »). Beaucoup de machines – avions, bateaux, voitures, d’où l’on ne s’extrait que par miracle. Beaucoup d’animaux, comme toujours chez Beauchemin, et qui le plus souvent viennent au secours des hommes.

 

Mais aussi des histoires qui n’en sont pas, dont le récit se résume à un pur aveu d’étonnement. Tel celui de cette femme qui, née par césarienne, c’est-à-dire « par voie détournée », voit toute sa vie obéir au principe de la « sinuosité », du « virage serré » et du « détour ». Ou celui de cette autre, constatant avec surprise que son bonheur « ne nécessite qu’une quantité négligeable d’efforts ».

 

Au cœur de l’œuvre de Beauchemin il y a cet étonnement devant un monde plein de magie, cette admiration devant les « ébouriffantes trajectoires du destin », pour parler comme lui-même le fait en commentant Le Jour des corneilles, qui paraît simultanément chez le même éditeur. Il s’agit de la réédition avec introduction et postface de l’auteur d’un livre paru en 2004, et couronné en 2005 par le Prix France Québec ainsi que par le Prix du livre francophone de l’année.

 

Pour une fois, c’est un vrai roman, dont on dira quand même ici un mot. Le lecteur y découvrira l’horrifique histoire du père et du fils Courge, qui vivent dans les bois (« Par haut matin, nous fûmes tirés du notre roupil par les toquements du vent contre notre fenêtre, par les craqueries répétées des billes de la cabane et par la secouade de notre porte semblablement heurtée »). Mais cette histoire horrifique est « une authentique histoire d’amour », garantit l’auteur. Le fils Courge a toujours été privé d’affection cependant « c’est comme si quelque chose en lui se souvenait de l’amour, de marques d’affection antérieures à sa vie sauvage »…

 

P. A.

 

Illustration : Théophane le Crétois, 1527 (https://orthodoxtimes.com)

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D
Bonjour et merci Pierre pour ces chroniques avisées qui se lisent et se découvrent toujours avec le plaisir d'une écriture fine et fluide. Je vais me procurer les Moments Littéraires et le Beauchemin.
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P
Oh vous ne devriez pas être déçue !...