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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Volt, Alan Heathcock, traduit de l’anglais par Olivier Colette (Albin Michel)

 Volt, Alan Heathcock, traduit de l’anglais par Olivier Colette (Albin Michel)La nouvelle, ça ne pardonne pas. Ce genre modeste ne peut se pratiquer par défaut. Le roman avale tout, de la poésie à l’essai en passant pas le roman lui-même, mais la nouvelle ne supporte d’autre propos qu’en adéquation parfaite à sa brièveté. Si on n’imagine pas Carver écrire autre chose c’est que les histoires qu’il raconte sont du temps d’après les histoires, et que les vies de ses héros dérisoires ne sauraient tenir qu’en peu de lignes. Les récits d’Alan Heathcock, au contraire, louchent sans arrêt vers le roman. Une jeune fille disparaît. Helen, l’unique policière de la ville, dont on comprend qu’avant d’enfiler l’uniforme elle a vécu, mène l’enquête, trouve le corps et le meurtrier, cache l’un, tue l’autre, sauve un an plus tard les victimes d’une inondation dont elle craint qu’elle ne ramène les cadavres, mais ce ne sera pas le cas, ce qu’elle déplore d’une certaine façon car les parents de la victime lui en veulent en croyant qu’elle n’a rien découvert… Combien de pistes esquissées dans ce texte d’autant plus confus que construit en alternance, et qui piétine à la limite du romanesque comme un enfant présomptueux au bord du grand bain ? L’ellipse et le non-dit, qui devraient être principes de construction, sont pratiqués ici, à ce qu’on dirait, par manque de place.

 

Évidemment les huit récits qui composent Volt ne sont pas tous comme ça. Et voilà justement le second problème avec les nouvelles, dans un recueil il y en a forcément de bonnes et de moins bonnes. Les meilleures dans le livre d’Alan Heathcock sont les contes de fées énigmatiques et celles où il ne se passe à peu près rien. Dans la première catégorie, l’histoire de cet homme qui tue son fils par accident, manque de faire dérailler un train, s’enfuit, tombe dans les griffes d’un éleveur de dindes qui l’exhibe dans un bar où les clients s’efforcent en vain de lui couper le souffle à coups de poing dans l’estomac, puis un jour retourne chez lui. Dans la seconde, ce récit d’une soirée au cours de laquelle des jeunes gens désœuvrés vont au cinéma, pillent des magasins, et se rendent compte qu’ils ne réussiront jamais à quitter leur petite ville et leur destin sans avenir. Mais à côté de ça il y a celles où on ne comprend pas vraiment de quoi il s’agit (telle la filandreuse histoire de cette femme qui a perdu sa mère, ce qui l’amène, sans qu’on voie très bien le rapport, à tuer son petit voisin d’un coup de tuyau de plomb) ou qui fleurent la bondieuserie anglo-saxonne (la femme du pasteur le quitte parce que leur fils est mort en Irak, mais il garde l’espoir et la foi).

 

Car le diable et le bon Dieu sont des intervenants inévitables dans ce livre dont on reconnaît tout de suite les personnages et le décor : l’inévitable petite ville censée donner au recueil son unité de lieu, la communauté chaleureuse mais travaillée par les forces du mal, la violence, la culpabilité (« Est-ce que ça changerait quelque chose, si ce n’était pas de ma faute ? »). On reconnaît les granges attendues, les caravanes, les sempiternels « pick-up ». Et la nature. Évoquer les paysages, les lumières, les lieux abîmés par les hommes et à demi abandonnés, c’est sans conteste ce que Heathcock fait le mieux. Il tire une véritable et sombre poésie d’une « prairie alanguie, où l’étendue de laîche n’[est­] interrompue que par la tache d’un vieux dépôt télégraphique en ruine », ou d’un pylône électrique « dont les traverses, qui oscill[ent] très légèrement, se détach[ent] contre le ciel tourneboulé ». Et l’inondation (coup de colère du Seigneur, sans doute) est l’occasion de quelques pages assez superbes.

 

Bref, quand Donald Ray Pollock ( ?) dit dans sa préface que « Volt est la preuve galvanisante de [l’] incroyable talent » d’Alan Heathcock, il abuse des adjectifs mais n’a pas complètement tort. Volt révèle un talent singulier — et ses limites. Car il n’est pas sûr que le « premier roman » auquel, comment s’en étonner, l’auteur « travaille », soit à la hauteur des espoirs un peu délirants que la presse de son pays paraît mettre en lui. Ce qu’il y a de mieux dans Volt, ce sont les brefs lamentos presque sans intrigue qui laissent toute la place à l’atmosphère — et sont, à leur manière, de vraies nouvelles.

 

P. A.

 

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