Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Eh bien mais voilà ce qu'on pourrait appeler un charmant petit livre… Jolie couverture bleu ciel pour ce qui est de l'aspect extérieur et, quant au contenu, une modestie de bon aloi. Comme il arrive souvent, le premier roman de Vincent Jolit se recommande d'abord par tout ce qu'il n'est pas et qu'on aurait pu craindre : une biographie vaguement romancée de Céline (la biographie non romancée de Vitoux, par exemple, citée au passage, suffit amplement) ; une tentative pour nous faire pénétrer les mystères de la création en nous associant à l'écriture du Voyage au bout de la nuit, ou, pire encore, un pastiche du style célinien ; une improbable histoire d'amour entre Aimée Paymal, la secrétaire qui a tapé le manuscrit du Voyage, et son auteur ; le livre de souvenirs que cette Aimée elle-même songe brièvement à écrire, et qui n'est, Dieu merci, évoqué qu'au conditionnel.
Vincent Jolit évite avec assez d’élégance tous ces périls et inscrit franchement son ouvrage sous le signe du minimalisme : imaginant les relations entre « le docteur Louis » et sa secrétaire épisodique et bénévole rencontrée au dispensaire de Clichy en 1930, il s’en tient à ce qui paraît le plus probable et se refuse à en sortir. Et il dessine ainsi, de biais, une silhouette de Céline plus convaincante qu’un énième portrait. Avec une image de l’époque qui, pour être esquissée, n’en est que plus évocatrice. Sans compter un personnage assez touchant, l’obscure et mal nommée Aimée, à laquelle un regard sans concession ni condescendance confère toute la dignité qu’elle mérite d’autant plus que, discrètement cantonnée à l’ombre du grand écrivain, elle pourrait fort bien constituer une figure de l’auteur lui-même.
Parce qu’il y a quand même un peu plus que l’absence de frime, la justesse de ton et une reposante minceur dans les 137 pages de Clichy. De même qu’il nous fait assister aux incompréhensions d’Aimée devant le monstre littéraire qui lui tombe dans les mains, le narrateur partage avec nous les hésitations et les choix de son propre ouvrage : « Nous aurions pu creuser un peu… mais bon, ce que ressent Aimée ne doit pas être assujetti aux contraintes qu’impose l’écriture romanesque » ; « Il n’est pas désagréable d’imaginer qu’Aimée… Mais si on s’en tient au peu que l’on sait, ce peu auquel on ajoute la logique… ». Ce n’est pas très nouveau mais c’est fait sans chichis ni pédantisme, dans un style à deux tons, quotidien et/ou ironiquement soutenu, qui se moque de l’érudition et recycle avec humour le tout-venant de la langue passe-partout d’aujourd’hui : « Espérer, Aimée n’avait jamais su trop faire » ; « Aimée préférait lire peu. Généralement, elle s’abstenait ».
Évidemment on n’est pas tout à fait persuadé du caractère indispensable d’un tel ouvrage. Mais Jolit non plus, dirait-on, et cette nonchalance a quelque chose de, disons, rafraîchissant. Cela nous change de bien des choses et de bien des poses. Et puis, comme on aurait peut-être dit dans la famille d’Aimée, si ça ne fait pas de bien ça ne peut pas faire de mal. Et de nos jours c’est déjà beaucoup, mon pauvre monsieur.
P. A.