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Il y a des romans où tout est affaire de climat. Ici, le climat est désertique, et le ciel immense. Il vous recouvre « comme un linceul », on a « l’impression de [se] dissoudre dans l’air brûlant ». C’est le ciel de Monument Valley (Utah), site naturel célèbre pour ses formations géologiques spectaculaires. Mais Monument Valley est également le nom du motel, tenu par l’aimable monsieur Heartwood et sa fille Lisa, où s’arrête Pascal, Français de passage et narrateur. Et le climat est aussi celui de ce motel, refuge ou tombeau, cocon douillet qui devient occasionnellement « d’une vacuité dérangeante, presque morbide ».
Désert et motel
Quasiment tout, dans le premier roman de Pascal Chapus, s’y passe. L’autre Pascal, son héros, s’y attarde, déambule entre sa chambre et la réception, s’assied dans le patio, caresse le chat, a des conversations apparemment anodines avec les propriétaires, ou avec madame Delcour, une autre Française, qui vit là à demeure.
Anoki, un Navajo, lanceur de poignards à ses heures, l’emmène dans de longues promenades à cheval sous les étoiles. Pascal a des angoisses, il prend des anti-dépresseurs. Au réveil, quelquefois, il se souvient que « Michel n’exist[e] plus ». Il y a un orage, des visites, un incendie, peut-être d’origine criminelle. Mais rien ou presque n’adviendra pour de bon dans ce livre où le retour des gestes et des notations, mimant les allées et venues sans but défini du personnage, crée une atmosphère subtilement hypnotique, à laquelle contribue aussi l’écriture toute en élégance et maladresse contrôlée.
Fausse piste et vrai tragique
La succession des titres de James Hadley Chase, qui meublent seuls la bibliothèque du motel, et que le narrateur dévore l’un après l’autre, est donc une fausse piste. Ou peut-être pas. Car ce que notre héros apprécie dans ces polars, c’est, il le dit, « l’engrenage tragique ». Or il y a bien du tragique rentré dans l’histoire qu’on nous conte, pleine de zones d’ombre, et dont nous comprenons peu à peu que le thème véritable est le deuil. Celui que portent Pascal mais aussi madame Delcour, laquelle a perdu jadis une fille très jeune, monsieur Heartwood, inconsolable depuis la mort de sa femme, bientôt Lisa, quand monsieur Heartwood disparaîtra à son tour. Monument Valley, l’établissement comme le site, est bien un double monument, grandiose et quotidien, à tous les disparus.
Le livre en est un aussi, probablement. L’autre fil conducteur, parallèle à celui qu’y dessine la succession des romans de Chase, est la présence obsédante d’une chatte, nommée justement par Pascal Miss Blandish. Elle jouera son rôle dans l’unique épisode véritablement dramatique, et sera la seule mort violente de l’histoire. En l’enterrant dans le désert, le héros paraît enterrer sa vie d’autrefois. À la fin, sans doute, comme les autres endeuillés qui le peuplent, en entame-t-il une nouvelle.
Cependant rien n’est sûr. À un récit dont le minimalisme et la rétention constituent les principes de base, il fallait une fin (très) ouverte. Lorsque madame Delcour lui déclare : « Je serai toujours auprès de vous », Pascal demande : « Pourquoi moi ? » Elle lui répond « Ai-je besoin de vous l’expliquer ? », et la question résume bien le roman de Pascal Chapus, qui, à la différence de tant d’ouvrages bavards et peu éloquents, semble parler de presque rien et dit beaucoup.
P. A.