Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Voilà un petit livre d’un radical et réjouissant dépouillement. Un thème unique, et guère de variations. Un monde aussi exigu qu’il est possible. On dirait que l’ouvrage est le résultat d’un pari : comment faire entrer de l’universel là-dedans ?
Le monde restreint : une famille napolitaine au début des années 1960. Le thème : l’obsession de la maladie. Il y a des raisons à cela. Dans la famille d’Antonella Moscati, elle-même philosophe, traductrice et romancière, on trouve un saint, Giuseppe Moscati, canonisé en 1989. Et ce saint était médecin. Quant au père de l’auteure-narratrice, il était lui-même dermato-vénérologue, une spécialité « dont on ne pouvait pas parler », et d’autant moins que « la dermatologie, il s’en fichait complètement ». Pour cet homme qui, du coup, était aux yeux de ses filles « une sorte de médecin non-médecin », « seules les maladies visibles à l’œil nu pouvaient se soigner ». « Par conséquent, l’angine, la syphilis et la gale étaient ses maladies préférées ».
« Cystopiélite » et « lymphogranulome »
Dans la famille Moscati, on a ses maladies préférées, mais on juge que « toute maladie [est] mortelle », car « toute maladie [peut] receler une maladie mortelle ». Le dictionnaire médical Roversi est l’équivalent d’une bible familiale, et les enfants distinguent en experts Tetralysal et Chloramicycline. Les conversations roulent sur les périls « du tétanos, de la diphtérie et de la tuberculose, ou bien de la colique de miserere et de la cystopiélite », voire de la leucémie, du lymphogranulome ou, « carrément », du carcinome. Il y a quelque chose de proprement désopilant dans la peinture de cette enfance inversée, où, dirait-on, tous les jeux et les rêves tournent autour des dysfonctionnements corporels, des piqûres et des potions. Car Antonella Moscati sait tirer toutes les possibilités que son sujet recèle en matière de jeu sur les sonorités, de répétitions maniaques et de phrases qui s’emballent.
« Soupe panique »
Ce qui n’empêche pas la peur. « Mon père avait peur de toutes les maladies sauf du cancer, ma mère n’avait peur d’aucune maladie sauf du cancer ». La narratrice, ayant hérité du « pire du pire de l’hérédité commune », cumule. « Toutes ces peurs se sont mélangées, formant une sorte de soupe panique onto-oncologique ». Là où règne la peur règne l’imaginaire. Dans ce monde où « personne n’[est] capable de faire ni même de comprendre la différence entre une maladie juste possible et une maladie réelle », tous vivent « comme des malades en phase terminale ». La famille elle-même est un filet dont personne ne veut sortir, car, dit l’auteure, une fois « dans la mer grande et profonde nous nous sentons tout de suite comme des poissons hors de l’eau et percevons la présence de la mort autour de nous ».
Eh oui, la mort… Il y a de la danse macabre dans le petit livre si drôle d’Antonella Moscati. On songe aux farces médiévales ou moliéresques dans lesquelles, pour l’exorciser, on riait de la camarde. C’est ce qu’on fait ici également… Vous demandiez de l’universel ?
P. A.