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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Les Maisons vides, Laurine Thizy (L’Olivier)

www.pinterest.frLe roman d’adolescence en milieu semi-rural est en passe de devenir un sous-genre à part entière, avec ses échecs et, souvent, ses réussites : voir Des kilomètres à la ronde, de Vinca Van Eecke (Seuil, 2020), Le Monde du vivant, de Florent Marchet (Stock, 2020), ou, pour une part, Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu (Actes Sud, 2018).

 

Ici, l’environnement semi-rural est assez facile à situer : on est quelque part entre « la Ville Rose », « la Ville de la Grotte » et « la Ville du Jazz » ; on cultive le maïs, on joue au rugby, on chasse la palombe ; les chansons se chantent « en basque et en espagnol, en français et en occitan ». Quant à l’adolescence, c’est celle de Gabrielle. Née prématurée, elle a redressé et assoupli son corps pendant des années par la pratique intensive de la gymnastique artistique. Mais, quand elle a treize ans, son arrière-grand-mère, force de la nature d’origine espagnole, meurt. Alors Gabrielle arrête la gym, se met à avoir dans les poumons des « araignées » qu’elle expectore en toux grasses, cesse de s’alimenter, maigrit. Grandit, aussi : quand, alors qu’elle a quatorze ans, il la croise, le beau Raph « est évidemment, absurdement, instantanément terrassé ». Mais elle, « avec son regard de jeune louve et ses cheveux tirés », avec sa « rage solaire » et « son orgueil à vivre », n’est amoureuse de personne, ou alors de la Sainte Vierge, de feu mémé Maria, allez savoir.

 

L’art de la scène

 

On saura à la fin d’un parcours détourné, comme il sied, à présent que le simple ordre chronologique est devenu le grand ennemi des romanciers. Ce roman-ci part de la mort de Maria.  Puis, alternance : d’une part, retour en arrière jusqu’à la conception de Gabrielle, et récit de sa naissance puis de son enfance jusqu’à ses treize ans et au décès de sa bisaïeule ; d’autre part, progression jusqu’à ses seize ans et une étrange chute du haut d’une palombière. En chemin, la narratrice (ou le narrateur ?) glisse souvent un petit mot, « j’ignore », « je crois », « ma Gabrielle ». Elle nous emmène aussi parfois à l’hôpital, où des clowns viennent dérider les enfants malades. On s’en passerait.

 

À la fin, les deux pistes, sans se rejoindre, se complètent. On comprend ce que les clowns faisaient là, on apprend qui est la narratrice (?) et pourquoi elle intervenait avec tant de précautions… et on s’agace un peu de cette construction trop habile. Mais l’important n’est pas là. L’important n’est pas l’émotion de commande qu’on est censé éprouver en compagnie des clowns et de leurs petits spectateurs. L’important, c’est l’émotion tout court, telle qu’elle surgit chaque fois que se donne carrière un art très sûr de la scène. Deux adolescents se croisent dans un gymnase et sont séduits ; en haut d’une palombière, un grand-père et sa petite fille échangent pour une fois quelques mots essentiels ; on baigne une vieille femme proche du trépas, et elle demande qu’on lui apporte son petit-fils — « Les voici, la vieille Espagnole et le petit frère de dix-huit mois babillant, là tous les deux, blottis l’un contre l’autre dans l’eau claire »… C’est toujours juste, jamais mièvre, tant se fait précise l’écriture, d’une exubérance calculée.

 

Au risque de la foi

 

La chair, morte, naissante (« petit rat à la peau rouge sang et au crâne chauve »), qui se transforme (« araignées dans les poumons » et « traces pâteuses entre les jambes »), qui désire ou devient désirable, est très présente. Mais rien de complaisant ni de glauque. Croyez-le si vous voulez, pas de pédophilie, pas de viol, pas de violence. Au pays de Gabrielle, on est gentil sans ridicule, et Raph, s’il « a couché souvent », l’a fait « toujours protégé et attentif, en demandant la permission ».

 

Serait-ce parce que les hommes restent à l’arrière-plan, dans ce récit qui raconte quatre générations de femmes, et au cœur duquel la relation Gabrielle / Maria semble un oxymore ?... Quatre générations, plus la Sainte Vierge. Oui. Quand Maria chante, « de là-haut », elle « écoute, la tête appuyée contre un morceau de nuage » ; le jour du baptême de Gabrielle, elle « verse une larme légère » ; de temps en temps aussi elle soupire discrètement ou préfère ne pas trop regarder. Il faut oser, aujourd’hui, dans un premier roman, quand on enseigne par ailleurs les sciences sociales… Il faut oser parler de la foi, d’une « foi sauvage, indomptée par les mots » et qui n’a rien à voir avec « les pieux discours ». Et montrer sans trembler « la Vierge triomphante, la Vierge sacrée » ouvrant « ses bras de marbre, robe au vent » pour accueillir une petite fille en lui disant qu’elle est « ravie de [la] rencontrer ».

 

Mais le succès sourit aux audacieux. Un élan porte Gabrielle et tout le livre de Laurine Thizy, qui emporte aussi le lecteur. Vitalité ? Croyance ? Littérature, peut-être… En tout état de cause, l’important, c’est l’élan.

 

P. A.

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