Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Dans sa collection Le Petit Mercure, dont j’ai déjà eu l’occasion de parler, le Mercure publie en ce mois de janvier Le Goût de l’hiver. Trente-cinq textes, répartis en quatre parties aux limites assez incertaines, mais qui vont dans l’ensemble du plus simple au plus ambitieux.
Le plus simple : des paysages, en prose ou en vers (Verlaine : « Dans l’interminable / Ennui de la plaine, / La neige incertaine / Luit comme du sable »), parmi lesquels se détachent particulièrement quelques morceaux singuliers, comme l’évocation par George Sand d’un hiver à Majorque ou celle, par William Henry Hudson, d’une chute de neige au mois d’août… en Patagonie. La palme de la fantaisie inquiétante revenant à Gustav Meyrink : « À la manière de régiments, les étoiles de neige, minuscules soldats en uniformes blancs ébouriffés, se donnaient la chasse, toujours dans la même direction, comme emportés dans une fuite générale devant quelque adversaire particulièrement féroce »…
Il arrive cependant que l’hiver ne soit pas seulement un objet de contemplation mais le ressort même d’une fiction, comme dans la nouvelle de Maupassant Première neige, où tout tourne autour de l’installation, ou non, d’un calorifère dans un vieux manoir normand. Ou dans l’admirable récit de Pouchkine, reproduit ici en grande partie, La Tempête de neige. Au point de vue de la littérature, l’hiver, « saison de l’art serein, de l’art lucide », comme disait Mallarmé, qui ne figure pas dans le recueil, offre aussi l’occasion d’explorer l’opposition dehors/dedans, qui met en scène et en abyme la figure de l’écrivain au travail. Et Thomas de Quincey va droit au but, qui proclame : « Je suis surpris de voir que les gens, quand ils se félicitent de ce que l’hiver vient ou s’en va, sont satisfaits de ce qu’il a été ou sera probablement doux. Je pétitionne, au contraire, tous les ans, pour qu’il y ait le plus possible de neige, de grêle, de gelée, d’ouragan de toute sorte ». Chacun en effet « connaît les divins plaisirs qui vous attendent au coin du feu » — et qui naissent du contraste entre le monde intérieur symbolisé par la chambre et celui, dehors, des tourmentes « de toute sorte ».
Mais le plus beau de l’hiver, c’est, tout le monde le sait, la neige. Et la neige découverte au matin, c’est la surprise, émotion à la fois poétique et métaphysique. « Il n’y a plus de rose des vents. Vous ne savez plus qui vous êtes et vous n’êtes jamais né. Vous avez poussé une porte et vous êtes tombé dans un pays qui n’existe pas. L’horloge s’est endormie »… Laissons à Gilles Lapouge le mot de la fin, comme il l’a aussi dans ce charmant petit livre.
Le même éditeur fait paraître, dans la même collection, Le Goût de l’écriture. Les quelque trente textes qu’a choisis et présentés Laurence Blava parlent d’abord, par la plume de Barthes, Pérec, Pennac et quelques autres, de l’écriture comme usage du langage, sous un angle tant social ou philosophique que littéraire. Ils traitent ensuite des motifs qui ont pu pousser certains à user de l’écriture à des fins personnelles et à définir autant d’arts poétiques. Tels Boileau, bien sûr, mais également Semprun, saint Augustin, Flaubert… Ou Jules Renard : « Me répéter que la littérature est un sport, que tout y dépend de la méthode, qu’on appelle aujourd’hui l’entraînement ».
Enfin, sous le titre mystérieux de Transcender l’écriture se trouvent rassemblés des extraits qui, dirait-on, s’interrogent sur le sens du geste : Sartre (« Pris au piège de la nomination, un lion, un capitaine du Second Empire, un Bédouin s’introduisaient dans la salle à manger »), Duras, Vallès, Camille Laurens…
Le mot de la fin, cette fois, laissons-le à Merleau-Ponty, dans une très belle page tirée de Le Visible et l’invisible. « C’est l’erreur des philosophes sémantiques de fermer le langage comme s’il ne parlait que de soi : il ne vit que du silence ; tout ce que nous jetons aux autres a germé dans ce grand pays muet qui ne nous quitte pas ».
L’hiver favorise l’écriture et c’est la saison de l’intime. Aussi faut-il saisir ici l’occasion d’évoquer aussi le numéro 47 des Moments littéraires, revue consacrée à l’écriture de soi. Après les Suisses (voir ici) et les Belges (voir ici), voici les diaristes (francophones) du Luxembourg.
Frank Wilhelm, professeur émérite de l’Université du Grand-Duché, connaît son sujet, et déplie savamment, en introduction, le rapport historiquement complexe entre les Luxembourgeois et la langue française. Ensuite, c’est un choix de textes où se manifeste une fois de plus l’étonnante diversité d’un genre qui parfois (Pierre Joris) croise le poème, qui souvent (Paul Mathieu, Ian De Toffoli) tient du récit de voyage, et qui presque toujours est le Journal de bord (Jean Portante) d’autres écrits en cours. Comme d’habitude, au centre du petit volume, un cahier photo. L’on y rencontre cette fois Cristina Dias de Magalhães et ses étonnants autoportraits de dos.
P. A.