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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Sept kilos de camomille, Rumjana Zacharieva, traduit de l’allemand par Diane Meur (Belfond [vintage])

www.herboristerie-yannickbohbot.frRumjana Zacharieva est née en Bulgarie, où elle a vécu jusqu’à la fin des années 1960. Installée ensuite en Allemagne, elle y a écrit des pièces, des poèmes, des romans… ce livre, paru en 1993, et publié aujourd’hui seulement en français. Entre-temps il a été édité en Bulgarie, dans une traduction par l’auteure de son propre texte allemand.

 

Telle est l’histoire compliquée d’un texte simple. Son sujet ? L’enfance et rien d’autre. Pas de critique du socialisme tel qu’on le concevait de l’autre côté du rideau de fer. Pas de tragédie collective ou familiale, pas ou presque de panorama historique. La narratrice prend parfois très brièvement la parole, pour replonger aussitôt dans ses souvenirs et redevenir personnage : « Je suis assise – autrefois – dans l’"autre chambre" (…). Je suis assise – aujourd’hui – à ma table de travail, et j’oublie où je suis et ce que je fais ». Dans ce passé ressuscité, que retrouve-t-elle ? Un perpétuel été. Un village écrasé de chaleur, une vieille maison, la campagne alentour… Un prodigieux réservoir de sensations : odeurs (« huile de tournesol chaude, sarriette (…) ; parfum de fruits séchés (…) ; parfum de chaussettes en laine et de fleurs de tilleul ») ; saveurs (« massepain…, pommes (…) farineuses et embaumant toute la pièce, bretzels… ») ; couleurs (« Le ciel semble un champ bleu-violet couvert de meules de foin qu’un colosse viendrait juste de faucher »)…

 

« Mourir pour la liberté »

 

Au cœur de cette saison enchantée, il y a une grand-mère, la « Maminka » du titre allemand (1) et la seconde héroïne du récit. Mila passe ses vacances chez ses grands-parents, elle semble même vivre auprès d’eux en permanence, entre son « Diado », « vieux salaud de koulak » irascible, porté sur l’alcool de prune et détestant « les Rouges », et sa « Maminka » adorée, qui n’a rien contre eux. Car le socialisme réel est quand même bien là, évidemment. Mais pas de surveillance, de police politique ou de geôle. La vie quotidienne vue par une fillette heureuse et perplexe, qui se demande où se passe la guerre froide, constate sans émoi qu’on fait la queue « pour des élastiques à confiture, dont une charretée [vient] d’arriver la veille », et apprend avec étonnement que ses parents, qui viennent la voir régulièrement depuis la ville, ne jouissent pas de « privilèges » (« J’essaie de me rappeler où j’ai déjà entendu ce mot »).

 

Certes, il y a les lectures imposées, et les « sept kilos de camomille » dont il faudra à la fin des vacances prouver la cueillette si l’on veut obtenir ses manuels scolaires. Ça n’empêche pourtant pas notre amie de souhaiter « mourir pour la liberté » comme Zoïa Kosmodémianskaïa, la jeune partisane soviétique assassinée par les nazis.

 

On est toujours avec Mila. Oh, ce n’est pas une petite fille modèle : sa « mauvaise conscience » lui fait souvent des reproches – notamment quand, le soir, seule dans sa chambre, elle lit Toi et moi, ouvrage dans lequel elle espère tout apprendre de la sexualité. Mais les choses sont dites en toute fraîcheur et par une enfant. Puisque le dindon a « des grelots », pourquoi ne les fait-il pas « sonner » ? Si le grand-père « est un capitaliste » comme certains le prétendent, un capitaliste est donc « un homme qui [boit], [bat] sa femme et n’[a] jamais d’argent »…

 

Devenir écrivaine

 

L’été de la camomille, Mila a douze ans. « Mais chaque été était un été de la camomille », précise l’adulte. L’histoire a beau être simple, la temporalité est complexe et subtile. L’été de ses douze ans, qui est aussi le dernier qu’elle passe à la campagne chez son aïeule, Mila, prise d’étranges maux de ventre, devra faire un court séjour à l’hôpital. Placée « hors du temps », au lit, « sans lire, sans bouger », elle découvre « des questions qui ne [l’] avaient jamais préoccupée auparavant ». Elle a aussi ses premières règles. Cependant ce roman d’éducation est un roman-mosaïque : à l’été charnière qui en constitue le fil conducteur viennent s’agréger beaucoup d’autres étés et quelques hivers ; aux modestes aventures de Mila, expéditions nocturnes et exploration de maisons vides, s’ajoutent les souvenirs du père, de la grand-mère… Plusieurs générations prennent la parole et font surgir différentes couches de l’histoire de la Bulgarie, du « joug ottoman » à la monarchie, puis à « l’amitié de Hitler », et, enfin, à « la fraternité de Diado Ivan », incarnation de l’URSS.

 

À tout cela se mêlent toujours les rêveries de Mila : ses fantasmes de jeune pionnière s’imaginant tenir tête héroïquement aux fascistes, mais aussi, de plus en plus souvent, les moments où, tandis qu’elle écoute les adultes, « la frontière entre [elle] et l’histoire » qu’ils racontent « se brouille » et où elle « ne fai[t] plus la différence » entre elle et son père à cinq ans ou sa grand-mère à douze. Elle nous avait bien dit, en passant, qu’elle rédigeait quelquefois des poèmes. « Je deviendrai écrivaine ». Elle le savait déjà.

 

P. A.

 

(1) Maminkas Sommerküche

 

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