Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Est-ce vraiment, comme le promet le sous-titre, « un conte de Noël » ? Oui et non, cette hésitation comme le jeu à la fois simple et retors avec le genre qu’il feint de revendiquer faisant toute l’originalité de ce premier roman, dû à une écrivaine connue en Scandinavie pour ses nouvelles.
Ronya a dix ans. C’est elle la narratrice. Elle vit avec sa sœur adolescente, Melissa, et leur père, à Trøyen, qu’on imagine être une banlieue d’Oslo. « Moi je ne peux pas ne pas espérer. Mon cerveau est fait comme ça », annonce-t-elle quasiment en préambule. Et, de l’espoir, il lui en faut. Car il y a les « jours de bonheur », certes, quand papa oublie de boire, remplit le frigo, emmène ses filles en été au bord de « la grande mer » ou, l’hiver, dans un chalet forestier dont il referme la porte « à l’aide d’un crochet tout en disant que personne ne ressortir[a] le soir ». Seulement, il y a aussi les autres jours…
« Vous vous souvenez de quoi ça parle ?... »
En ce mois de décembre, papa trouve un boulot sur un point de vente de sapins de Noël. « On mang[e] des spaghettis tous les jours », « il parl[e] du chalet qu’on achèter[a] pour peu qu’il décroche un CDI ». Ça dure un temps. Mais, quand, fatalement, le père reprend le chemin du Stargate qui donne son titre original au livre, Melissa, la fille aînée, se fait embaucher à sa place. Et, second rebondissement, Ronya s’en mêle. La voilà orientant vers la caisse des clients attendris (« Oooh, de belles gerbes de Noël comme au bon vieux temps ! Et une jolie petite fille par-dessus le marché ! »), qu’elle conseille en vraie professionnelle (« Comme vous voyez, là on est plus sur de la couronne classique »).
On le voit : tout est en place pour un mélo social. Sauf que les pauvres, gentiment cyniques, ne se laissent pas faire. Les employés surexploités du marchand de sapins Eriksen s’unissent pour gagner un petit supplément derrière son dos, sans être dupes de la prétendue « magie de Noël » : « Vous savez quelle histoire ils adorent lire à Noël, les gens ? La Petite Fille aux allumettes. Et vous vous souvenez de quoi ça parle ? »… En fait de magie, Melissa est l’esclave d’Eriksen, lui-même « esclave de Noël, de Jésus et de toute la chrétienté. Sans oublier (…) que la chrétienté [est] l’esclave du capitalisme ». Voilà, c’est dit.
« Une porte s’ouvre dans la forêt »
Une forme de réalisme neutralise le conte façon Andersen. Mais la forme conte, à son tour, neutralise ce que le réalisme pourrait entraîner de pathétique. Car, d’une certaine façon, c’est quand même bien un conte : nous avons une jeune héroïne, progressant entre des opposants (Eriksen, Stella la copine de classe venimeuse, l’alcool) et des adjuvants (un vieux voisin, le concierge turc de l’école, un camarade de classe musulman et son père) ; et la féerie est bien là, pas seulement dans la tête de la gamine ; annoncée depuis le début par « des signes », elle finit par se déployer, quand, sous un ciel « plus bleu que bleu », entre des arbres « plus blancs que blancs », « une porte (…) s’ouvre dans la forêt » et mène à un chalet mystérieux où se réfugier tandis que « dehors les renards trottin[ent], les lièvres sautill[ent], les loups hurl[ent] ».
Cette fin merveilleuse est-elle la version transfigurée d’un dénouement tragique sur fond de macadam osloïte et de tempête Gudrun ? Sans doute que oui, mais peut-être que non. Deux genres littéraires différents et deux atmosphères opposées se font sans arrêt concurrence, se superposant par moments au point de quasiment fusionner. Le point de rencontre, c’est Ronya. La vision ou, plutôt, la parole de l’enfant imprègne tout le récit d’un mélange de naïveté et d’amoralisme joyeux. Son alacrité ouvre sur les émerveillements du « miracle » et penche vers la débrouillardise des enfants de Dickens. De ce jeu simultané sur deux images de l’enfance, le texte tire toute une efficacité en matière de dénonciation et d’émotion : émotion sans attendrissement et dénonciation sans discours.
P. A.