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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Bons baisers de Tanger, Melvina Mestre (Points)

On connaît mon intérêt pour l’espionnage (1), bien plus, de façon générale, que pour le roman policier. Ce livre, paru en première édition chez Points, semblait donc bien fait pour moi, avec son titre en forme de clin d’œil, son cadre historique (les années 1950, donc la guerre froide), son cadre tout court : Tanger à l’époque de la « zone internationale », nid d’espions s’il en fut.

 

Sauf que ce n’est pas vraiment un roman d’espionnage. Le début en laissait pourtant espérer un : Gabrielle Kaplan, détective privée à Casablanca et héroïne des deux livres précédents de Melvina Mestre (2), est recrutée par le SDECE, qui la charge de surveiller à Tanger Jo Renucci, truand corse suspecté de trafic d’armes. Deux agents « traitants » initient la jeune femme aux mœurs des hommes de l’ombre, dans ce qui constitue peut-être la meilleure partie du récit. Ensuite, au fil d’une intrigue quelque peu poussive, celui-ci s’oriente définitivement vers une banale histoire de contrebande assaisonnée d’un peu de piraterie et cachant un trafic de drogue.

 

Histoire et parfums

 

Il est vrai que ce n’est pas l’intrigue qui intéresse Melvina Mestre. Ni même l’espionnage. Ce qui l’intéresse, c’est, pour une part, l’Histoire. On est au temps des indépendances, tout le monde a compris que « la décolonisation [est] inéluctable », l’émancipation du Maroc (en 1956) ne saurait tarder. Et on n’est pas si loin non plus, dans l’autre sens, de la guerre et de l’occupation : « Monsieur Jo » et ses amis, corses pour la plupart, sont passés par le PPF de Doriot avant, pour certains, de changer de camp in extremis. Mais ils ont gardé une vénération pour « le Grand Jacques », et un culte pour Tino Rossi, ainsi que pour Mistinguett, Arletty, Pierre Fresnay, Maurice Chevalier – « des collabos notoires ». On aurait pu penser que ces éléments directement politiques viendraient enrichir le roman. D’autant plus que Gabrielle Kaplan, son héroïne, juive, a dû fuir Salonique avec ses parents pour se réfugier en Espagne avant qu’ils ne s’installent, après la Libération, les uns à Paris, l’autre au Maroc. Mais, comme l’atteste la copieuse bibliographie placée en fin de volume, l’autrice s’est laissé fasciner par le monde des « parrains corses » et autres membres du « clan des Marseillais »…

 

L’Histoire, cependant, grande ou petite, est ici inséparable du décor : le Tanger des années 1950. Pègre, aventuriers, gens célèbres, on croise dans les soirées mondaines Pierre Lazareff, Bleustein-Blanchet, Paul Bowles et « le marquis de Breteuil ». Atmosphère de rue, vues sur mer, lieux publics à l’allure aujourd’hui surannée, Chesterfield fumées obsessionnellement – et une mention spéciale pour les parfums : « Embrujo de Sevilla, frais et boisé à la fois », « Tabu, ce vieux parfum ambré entêtant », « Femme de Rochas »… Décidément, notre écrivaine s’est documentée.

 

Pastiche et kiosque

 

Ce qui est plus curieux, c’est le mimétisme assumé qui fait de son livre un pastiche de roman d’espionnage des années où il se situe. La violence extrême et le sexe, qui devaient vite devenir les éléments de base du genre, sont absents. La narration, toute orientée vers l’extérieur, laisse l’héroïne transparente et sans véritable intimité. « D’allure sportive, cheveux châtains mi-longs, yeux verts pétillants, ni grande ni petite, ni femme fatale ni femme banale (…), elle [a] un physique qu’on ne remarqu[e] pas de prime abord », et son portrait, délicieusement rétro, est à l’image de tous les autres portraits et descriptions du volume.

 

Car l’écriture elle-même paraît d’époque. Celle des fictions populaires d’autrefois, avec leurs détails surabondants et leurs dialogues interminables. La minutie dans l’imitation va jusqu’au style : passé simple de rigueur mais lexique incertain, syntaxe acrobatique, et quelques perles qui fleurent bon le kiosque de gare : « Il marcha sur la pointe des pieds pour ne pas que ses pas résonnent », « Ils remontèrent précipitamment à l’agence pour dévorer fébrilement toute la presse »… Comment oserait-on soupçonner de vraies négligences ? Tout cela, ça tombe sous le sens, est délibéré, et contribue au plaisir nostalgique qu’on peut éventuellement trouver à la lecture.

 

P. A.

 

(1) Voir par exemple ici ou ici

(2) Crépuscule à Casablanca (2023) et Sang d’encre à Marrakech (2024), tous deux déjà aux éditions Points

 

Illustration : https://www.vanupied.com

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