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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Si rien ne bouge, Hélène Gaudy (Babel)

 Si rien ne bouge, Hélène Gaudy (Babel)  Il y a des livres auxquels on n'a rien à redire. Ainsi l'histoire de Samuel, Lise et Nina, que nous raconte Hélène Gaudy. Nina, c'est la fille adolescente de Samuel et Lise. Ils l'ont eue tard. Comme elle n'a pas beaucoup d'amies et qu'ils ont tous deux une belle âme, ils emmènent en vacances, cet été-là, Sabine, issue d'un milieu à l'évidence moins favorisé. Mais on ne sait pas grand-chose sur elle, en fait ils ne se sont pas renseignés de très près, ces gens-là à mon avis ont un peu manqué de sérieux. Quoi qu'il en soit les voilà tous les quatre dans une maison sur une île, assez méditerranéenne pour qu'on s'y baigne et qu'il y fasse chaud mais assez escarpée pour qu'il y ait des montagnes avec refuges et sapins.

 

Sabine « se fout du nom des plages », d'ailleurs elle ne sait pas nager. En revanche elle fait découvrir bien d'autres choses à Nina, qui s'interroge : elle « se rend bien compte que Sabine ne ressemble en rien à l'amie qu'elle attendait, qu'elle n'a rien de ce qui lui convient, de ce qu'elle reconnaît. Mais de la faillite de ses attentes naît quelque chose qui n'avait jamais, jusque-là, réussi à se faufiler jusqu'à elle ». Elle s'éloigne de ses parents, apprend à traîner dans les magasins, prend des leçons de sexe (« Au bord de la piscine, Sabine raconte ce que cela fait d'être pénétrée »). L'ambiguïté des rapports entre elle et son père, l'ambivalence de ceux que sa mère entretient avec elle, bref tout ce que la petite famille s'appliquait à refouler, l'intruse le révèle. Tout le monde est perturbé, on aimerait bien se défaire de ce corps étranger, Nina elle-même est à deux doigts de la laisser se noyer et pour finir Samuel tuera au lieu d'elle un pauvre chien de substitution. Voilà.

 

Je vous ai raconté l'histoire tout du long, ce qui, vous l'aurez remarqué, est contraire à mes habitudes. Mais, encore une fois, que dire de tout cela ? Que c'est sans reproche, fin, que la langue est élégante, que l'intrigue, bien menée, fait penser à certains romans anglo-saxons. Qu'on lit d'un bout à l'autre l'histoire de Nina avec un agréable ennui et le sentiment de la connaître déjà par cœur.

 

Pourquoi ? On dit le romanesque le romanesque mais au fond le problème dans le roman ce n'est pas tant le romanesque en tant que tel, d'ailleurs quand Hélène Gaudy se décide dans un dernier chapitre à nous raconter pour de bon quelque chose, tout va bien mieux. On émerge un peu de la torpeur qui s'était emparée de nous à suivre les pas de cette narratrice omnisciente qui, à l'inévitable présent de narration, surprenait ses personnages en train de bronzer ou de préparer une salade et en profitait pour plonger dans leurs pensées inavouables et minutieusement décrites, l'un puis l'autre, alternativement, un petit coup de projo pour chacun (sauf l'invitée, bien entendu, parce qu'elle doit rester une énigme). On les avait reconnues dès le début, ces conventions du roman contemporain qui ne sont en fait que celles, recyclées, du bon vieux roman psychologique.

 

Voilà le vrai problème avec le romanesque, et la grande ennemie du roman : c'est la psychologie. Là où Emmanuelle Richard, sur un thème voisin, faisait entendre une voix, quand Maggie O'Farrell, avec des moyens pourtant comparables, savait faire souffler un petit air de folie, Hélène Gaudy nous expose sagement des émotions et des pensées où rien ne dépasse. Et on se dit que ça ferait un joli petit film français, un de ces films si peu cinématographiques mais si fins, comme on dit, dans l'observation des milieux sociaux et des états d'âme. On aurait, mettons, Karin Viard dans le rôle de la mère, et dans celui du père, mon Dieu… François Cluzet ? On regarderait ça d'un œil un peu lointain, à la télé, dans une chambre d'hôtel, et on se dirait voilà un joli film, qui ne fait de mal à personne. De beaux paysages, bien filmés, des dialogues si justes, et rien de dérangeant. Un film qui ne fait rien bouger, en somme.

 

P. A.

 

photo http-_www.piment-deco.com

 

Ce texte est paru une première fois le 29 mars 2014 sur le site du Salon littéraire

 

 

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