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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Les Aventures extravagantes de Jean Jambecreuse, au pays de Barbe bleue, Harry Bellet (Actes Sud)

www.peinturemurale.comJ’ai raté le deuxième tome… En 2013 paraissaient, déjà chez Actes Sud, Les Aventures extravagantes de Jean Jambecreuse, avec pour seul sous-titre Assez gros fabliau. On y assistait aux débuts de Hans Holbein, désigné par l’équivalent littéral et français de son nom. Elles étaient narrées avec une verve étourdissante, et esquissaient sans le dire une réflexion subtile sur les rapports entre réel, images et mots (voir ici). Puis, en 2018, Jambecreuse revenait, pour de nouvelles « aventures », toujours « extravagantes », au temps de la révolte des Rustauds. Mea culpa. Passons. Cette année, nous voilà au pays de Barbe bleue, et le volume est sous-titré Conte moral et édifiant, mais aussi Tiers Livre.

 

Histoire et farce

 

Barbe bleue, c’est Henri VIII. Arrivé dans son royaume en 1526, Holbein y aura successivement pour protecteurs Thomas More, Cromwell (Thomas aussi, pas Oliver, 1599-1658), le souverain lui-même. Avant de mourir, en 1543 (ou peut-être en 1554 ?), à Londres, de la peste ou, comme préfère le penser et le dire Harry Bellet, du mal français. Avec une désinvolture résolue, le récit, suivant année après année les événements réels ou imaginaires, petits ou grands, mêle la chronique, le roman historique et, comme le second sous-titre le suggère, l’héritage rabelaisien de la farce médiévale. On rencontre maints grands personnages, parmi lesquels, outre ceux déjà mentionnés, Érasme, toujours, le cardinal Wolsey ou Soliman le Magnifique. Et, comme chez Dumas, les intrigues politiques, mettant ici aux prises les rois de France et d’Angleterre, le Grand Turc, le pape et l’empereur Charles Quint, se nouent à l’intrigue romanesque et privée (Holbein étant censé détenir une lettre pas très catholique écrite par un pape décédé peu avant, ce qui lui vaut l’inimitié d’un patibulaire dominicain).

 

Tout cela nous est conté tantôt par un narrateur actuel, tantôt par un certain Harry (tiens, tiens…) Maynert, peintre authentique, mais dont on ne sait rien, ce qui a permis à l’auteur de « s’en emparer », comme il l’avoue, pour en faire l’apprenti et le disciple anglais du peintre bâlois. Devenu vieux, ce témoin privilégié revient sur ses années de jeunesse, avec, parfois, la candeur malicieuse qui était alors la sienne.

 

Cette organisation narrative quelque peu foutraque va bien avec une écriture toujours aussi bariolée, dont l’exubérance fait passer les innombrables fautes syntaxiques ou de vocabulaire. Et avec un ton toujours truculent, un peu systématiquement primesautier, mais quoi ! on est, avec Bellet et son Holbein, dans le gros fabliau, qui ne ménage pas l’allusion gaillarde et se délecte à l’évocation de supplices divers : décapitations, écartèlements, « les bourreaux ne chôm[ent] pas ». Quand le méchant des méchants finit entre les mâchoires d’un ours, lequel lui « gob[e] » la cervelle « comme une friandise », on ne peut malgré tout se défendre d’éprouver, pourquoi le nier, une certaine satisfaction.

 

Art et mémoire

 

Le corps, on l’a compris, continue à tenir le premier rôle. Et ses cinq sens. La vue avant tout, bien entendu. Le roman débute par une description hallucinée du pont de Londres à l’époque de Holbein, et évoque de nombreux tableaux de sa période anglaise, à commencer par les fameux Ambassadeurs. Cependant, la peinture en tant que telle n’est pas ici le thème et le sujet de méditation qu’elle constituait dans le premier volume. C’est surtout le portrait d’une époque qui nous est offert. En équilibre instable entre Moyen Âge et modernité, hésitant entre raffinement extrême et barbarie. Inventant les villes modernes, ce qui nous vaut une évocation saisissante de la Londres d’alors et de la vie qu’on y menait, reconstituée avec minutie. En effet, l’érudition, jamais indiscrète, est bien là, comme l’attestent la Postface pas peu pédante… et la bibliographie qui la suit.

 

Car Bellet est d’abord historien et critique d’art. Et, par-delà la drôlerie ou le plaisir de conter, il incite ici à une réflexion sur la place de l’artiste, dans la société de la Renaissance et peut-être dans tous les temps. Le livre insiste à plusieurs reprises sur la distance salutaire entre grands et gens du commun. Si les premiers sont, à l’image du roi Henri, des « lions rugissants », ils finissent souvent mal, voir les épouses et les ministres successifs du même souverain. D’où ce commentaire de l’obscur Harry Maynert : « Qu’est-ce que cela peut me faire les intrigues d’en haut, à moi qui suis heureux en bas ? » Entre ces deux extrêmes, l’artiste commence, en ce début du XVIe siècle, à occuper une place singulière. Pour la tenir, il lui faut « faire plaisir aux puissants », et faire sienne la morale que Harry Bellet prête à son héros : « Je partage les vues de chacun de mes clients ». Mais, sous ce cynisme, on sent poindre une autre question : cinq siècles plus tard, de qui se souvient-on le mieux ?... Oui, ce roman de Holbein était bien, malgré les apparences, un conte moral et édifiant.

 

P. A.

 

Illustration : Les Ambassadeurs (1533), détail (l'anamorphose du crâne)

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J
Un livre qui donne envie d être lu. Merci. Enfin, du temps pour reprendre contact. À bientôt.Claire Nb : je t enverrai mon numéro de téléphone portable quand j aurai teçu ton mail.
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