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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

L’Art de porter l’imperméable, Sergi Pàmies, traduit du catalan par Edmond Raillard (Jacqueline Chambon)

picclick.fr.jpgLe problème, avec les recueils de nouvelles, c’est que certaines sont toujours meilleures que les autres. On n’est pas toujours captivé quand Sergi Pàmies disserte à propos du divorce, prend le train, raconte l’histoire d’un romancier qui va régulièrement chercher l’inspiration à l’aéroport. Mais dès qu’il aborde ses grands sujets, l’atmosphère change… Quand il évoque son enfance, parle paternité, héritage, passage d’une génération à l’autre, il nous emporte.

 

Il faut dire que ses parents ne sont pas tout à fait comme les autres. Ce n’est pas anodin d’être le fils de Teresa Pàmies, célèbre écrivaine engagée, et de Gregorio López Raimundo, commissaire politique pendant la guerre d’Espagne, exilé, clandestin, arrêté, torturé, dirigeant du PSUC (1), élu député après le retour de la démocratie. Un tel environnement familial laisse inévitablement des souvenirs d’enfance un peu spéciaux. On ne voit pas impunément cohabiter à la maison « une communiste bagarreuse, défenseure de la pluralité » et « un membre de la nomenklatura, marqué par les servitudes de la discipline du parti ». Quoique, après tout… Vous allez, comme tout un chacun, avant Noël, au Printemps, pour voir les jouets, avec votre père. Et si celui-ci « s’arrêt[e] de temps en temps pour vérifier que personne ne [vous] sui[t] », ça vous paraît habituel et normal.

 

Roman familial

 

C’est seulement à l’âge de onze ans que le petit Sergi quittera, avec ses parents, Paris pour Barcelone, où il apprendra enfin le catalan. Langue dans laquelle il écrit aujourd’hui, et parle d’un passé où l’on trouve, évidemment, quelques placards secrets. Comme celui où l’auteur-narrateur, devenu adulte, conserve « un imperméable Burberry avec une doublure en laine à motifs écossais » ayant appartenu à son géniteur. Sa corpulence, nous dit-il, lui interdit de porter « avec la désinvolture et l’élégance de [son] père, de Jorge Semprun et de tous les hommes qui plaisaient à [sa] mère » ce vêtement qui donne son titre au recueil et auquel est consacrée la plus longue et la plus belle des douze nouvelles qui le composent. Les hommes « qui plaisaient » à Teresa, « Humphrey Bogart, Jean Gabin, Robert Taylor, Albert Camus », d’autres encore, « savaient porter l’imperméable avec une élégance incontestable ». Et l’imperméable, uniforme de l’homme d’action, constitue une composante essentielle de l’idéal du moi, pour celui qui, à l’adolescence, a élaboré un roman familial dans lequel il s’imaginait fils naturel probable de Jorge Semprun. Lequel, porteur d’imperméable s’il en est et ami de Teresa Pàmies, fut exclu du PCE, à la grande époque stalinienne, à l’initiative, entre autres, de Raimundo.

 

La partie et le tout

 

Où nous mènent les imperméables… Au meurtre du père, ni plus ni moins. Mais ce n’est pas le seul objet à jouer un rôle central dans les récits de ce petit recueil. Pàmies a l’écriture oblique. Si l’imper ne pouvait que conduire au père, c’est un bocal d’urine, sur la banquette arrière d’une voiture, qui, dans une autre histoire, offrira l’occasion à un père de parler de sa fille. Et il y aura aussi un faux billet, un pistolet à air comprimé pour enfants… Dans chaque nouvelle, la phrase ironiquement minutieuse du Catalan tourne autour d’un objet, avec une obstination élégante et retorse. Et c’est dans ces détours qu’il parle de l’essentiel. Faisant de l’anecdote « la métaphore d’un tout, telle l’analyse de sang qui, à partir d’un petit échantillon, explique le passé, le présent et éventuellement le futur d’un organisme ».

 

C’est dit dans un texte malicieusement intitulé, à l’intention des distraits, Poétique. Et qui n’offre qu’un des exemples de mise en abyme dans le recueil. L’auteur catalan est dans la tradition, bien ibérique, du baroque. On sait ce qui en constitue, surtout quand il est espagnol, le thème central… Dans ces histoires dont le seul vrai sujet est le travail du temps, le narrateur meurt à deux reprises, en direct, à la première personne du singulier. Ce n’est pas si fréquent. Et c’est compter sans les morts minuscules vécues à chaque fois qu’il se retourne vers son passé ou envisage son avenir — comme cela arrive à bien des pages d’un livre faussement léger et authentiquement grave.

 

P. A.

 

(1) Parti socialiste unifié de Catalogne, le pendant du Parti communiste espagnol.

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G
Un livre très triste, mais écrit avec un bonheur monumental
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H
Pierre Ahnne j'aime toujours vos notes de lecture , qu'elles donnent envie de lire les textes ou non, je lis ce que vous écrivez avec un grand plaisir. Avec celle-ci, oui, on a envie de lire les nouvelles de Sergi Pamies. <br /> Merci
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