Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Est-ce bien, comme le nom de la collection le suggère, un roman « noir » ? Oui et non… Difficile à dire, s’agissant d’un livre où quatre types de fictions au moins se succèdent et se chevauchent.
Ça commence comme une comédie juive à la Woody Allen. L’anti-héros de service s’appelle Dan Katz. C’est un « peine-à-jouir ashkénaze », que sa sœur, depuis leur enfance, appelle « Lepisch » (« "maladroit", en yiddish »). Historien de l’architecture, il quitte Montréal pour Paris, où il compte se livrer à des recherches dans le cadre d’un travail sur Drancy (« écrire ou réécrire l’histoire du bâti et celle du camp »). Cependant il passera par Tel-Aviv pour rendre visite à sa famille (« Jamais sa mère ni sa sœur n’avait fait pression sur lui pour qu’il revienne, mais sa conscience s’en chargeait »).
Du documentaire à Tintin
Après un bref séjour dans « ce pays autoritaire, violent, cinglé, meshugge et infantilisant », voilà Dan à Paris. Nous l’accompagnons dans ses recherches, et constatons à cette occasion qu’il est possible de rendre passionnante la littérature documentaire pour peu qu’on la mette au service d’un vrai récit. Au détour d’un ouvrage, Katz découvre le nom de son grand-père, et que, détenu dans le camp, il y a été torturé puis a été envoyé à Auschwitz avec sa femme, à l’initiative d’un gendarme français nommé Cannac.
Ayant retrouvé la piste des petits-fils de ce dernier, à Saint-Brieuc, où l’un d’eux dirige la section locale du « Parti de la France » (vous imaginez bien…), notre ami se sent investi d’un devoir de « réparation par procuration » qui lui apparaît à la fois comme « un poids et une béquille » mais auquel, si imprécis qu’il soit, il ne peut se dérober. Dans les rues de l’aimable cité bretonne commence alors une enquête dans le style de celles de Tintin ou de Fantômette, marquée au coin de l’absurde et de l’humour pince-sans-rire. Dans les poubelles du « Parti de la France », Katz déniche un prospectus vantant les charmes du « Domaine Lilium » – « projet immobilier situé en Gaspésie, où des lots [sont] vendus à des Français souhaitant développer une communauté de biens et de valeurs » (vous voyez lesquelles…). Des recherches plus approfondies révéleront que derrière ces intentions de façade se cache le projet de « prendre d’assaut les institutions gouvernementales à Québec et de proclamer le rattachement de la province à la France ». Carrément.
Noirs micmacs et esprit des lieux
Ni une ni deux : voilà Dan de retour au Canada, pour un finale qui seul mérite le qualificatif de « noir » tel qu’on l’entend. Violence, gauchistes et fachos surarmés s’affrontant parmi les conifères, le Mossad s’active en coulisses… Et il est aussi question de « la figure tutélaire de l’extrême droite française », Alphonse Le Guen, surnommé « le Menhir », qui « était déjà garde à Struthof, le camp de concentration, à Strasbourg »…
Rappelons que le camp du Struthof était situé dans les Vosges, loin de Strasbourg, et qu’aucun « garde » français n’y a sévi. Mais ce n’est pas très grave. Quels que soient la sincérité et le sérieux du propos historico-politique, un parfum général de second degré flotte sur ce récit bourré d’invention romanesque, et où les rêves du héros viennent encore souligner la fantaisie. Dan Katz s’endort dans tous les avions, cauchemarde de gendarmes, de cercueils, d’œufs. Il vole du Canada à la France, puis retour, et au cours de ce trajet en boucle nous apprendrons les causes possibles de son éternelle culpabilité (« je ne suis pas particulièrement hétéro »). On le verra aussi s’en débarrasser en menant à bien sa mission, c’est-à-dire en passant de l’observation passive à l’action directe.
Une grande partie du plaisir de lecture, indéniable, vient cependant de la minutie dans l’évocation des lieux traversés, qui, dans leur diversité, composent une image étonnamment juste de l’Occident contemporain. Israël, sa police agressive, sa rue « grouillante, bruyante et mal élevée » ; les Québécois « nonchalants et tranquilles », les Français « bruyants et sûrs d’eux »… C’est la France qui tient, tout compte fait, le premier rôle, et, en France, Paris, décrit avec un mélange de tendresse et d’agacement. Les serveurs sont désagréables, les quartiers du centre se boboïsent, dans les banlieues populaires, malgré caves et trafics, on est à tout prendre plus aimable…
Michael Blum, « artiste et professeur à l’École des arts visuels et médiatiques » de Montréal, s’intéresse, paraît-il, « aux représentations contemporaines de la mémoire ». Son premier roman s’inscrit donc logiquement dans un arrière-plan historique, et dessine une réflexion sur les leçons du passé et les périls de l’avenir. Mais c’est d’abord un roman, et tout est là.
P. A.
Illustration : Drancy (https://www.paris.fr)