Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Une vie pleine de livres et d’amitié, Michèle Gazier (Arléa)

Contrairement à ce que le titre, étrangement plat, suggère, il y a assez peu de livres dans le livre de Michèle Gazier. Entendons-nous : il n’est question que de cela. Mais celle qui, de son propre aveu, a pratiqué tous les métiers de la chaîne du livre, sauf libraire, ne s’aventure dans aucune analyse, examen stylistique ou même résumé de roman. L’originalité de son ouvrage réside justement dans le fait qu’on y demeure autour des livres, parmi les effets qu’ils produisent et les rencontres qu’ils occasionnent.

 

Noms connus, cascades et courses

 

Peu de « livres », mais beaucoup d’« amitié ». Pratiquement chaque entretien avec un écrivain (parmi lesquels beaucoup prennent la forme d’interviews réalisées sur commande par celle qui fut longtemps une critique littéraire en vue) semble avoir marqué le début d’une vraie relation, affective, profonde, voire essentielle. Ce qu’on a tout de même un peu de mal à croire… On distingue facilement, en fait, les vraies amitiés – avec Nathalie Sarraute, qui ouvre le livre, Semprun, Char ou, curieusement, des artistes extérieurs à la littérature tels Soulage, Botero ou Tapies –, et les autres. Beaucoup d’autres. Dans ce texte qui est aussi le tableau d’une époque et un peu, diraient les médisants, d’un certain univers dit en général germanopratin, il y a, on doit l’avouer, un peu de name-dropping. Et quand, évoquant une conférence donnée jadis à l’université de Montpellier par Alejo Carpentier, l’autrice avoue avoir été « choquée par son étalage (…) d’amitiés célèbres, de rencontres brillantes, de noms (…) tous lus dans les livres de français de [sa] jeune vie d’étudiante », on se demande s’il ne faut pas voir là un peu d’auto-ironie.

 

Comme on pouvait s’y attendre,  les plus réussis de ces micro-récits mettant  en scène des gens connus sont ceux qui  relatent des semi-échecs (entretien décevant avec Lévi-Strauss, où « les rails [sont] huilés  à souhait  et les  aiguillages rares ») ou qui baignent dans une atmosphère de bizarrerie : ainsi de Ponge visité au fond d’une vallée particulièrement sinistre où il finit sa vie dans le vacarme d’une cascade, ou de Julien Green, tyrannisé par son fils adoptif et reprenant vie dès que celui-ci quitte l’appartement pour faire les courses…

 

« Logique des souvenirs »

 

Et tous ces portraits composent, par petites touches, un autoportrait. On voit se dessiner l’histoire familiale : la grand-mère espagnole arrivée en France en 1919, le père retourné en Espagne pour se battre contre Franco… On suit le destin d’une petite fille qui découvre Cervantès en CE1 (« pages allégées »), dévore Pearl Buck et bien d’autres, passe son adolescence puis sa vie d’étudiante passionnée de lecture entre Sète, Béziers, Montpellier. Ensuite viendront l’enseignante, la traductrice, la critique, la romancière.

 

Le monde hispanique, toujours à l’arrière-plan, l’intérêt pour les langues et pour les transfuges de langues (Semprun, Bianciotti…), la figure de Pierre Lepape, qui fut le compagnon d’une vie, contribuent à donner une unité à la succession des très brefs chapitres, qui semblent d’abord se suivre dans une élégante et aléatoire nonchalance. En réalité, celle-ci cache un montage presque subliminal par thèmes et associations d’idées. « La logique des souvenirs échappe à la logique des jours ». À suivre la première, Michèle Gazier esquisse, par-delà amitiés et livres, une subtile et gracieuse méditation sur la mémoire.

 

P. A.

 

Illustration : https://www.tripadvisor.fr

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article