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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Shiloh, Shelby Foote, traduit de l’anglais par Olivier Deparis (Rivages)

fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_ShilohC’est une chapelle méthodiste en rondins, quelque part dans le Tennessee. Et c’est aussi une bataille, qui opposa, les 6 et 7 avril 1862, les armées confédérées, commandées par Johnston et Beauregard, à celles de l’Union, sous les ordres de Grant. À l’époque, elle atterra par sa violence les opinions publiques des deux camps. Celles-ci, pourtant, étaient loin d’être au bout de leurs peines…

 

Petit-fils de planteur, né et mort dans le Mississippi, auteur d’un récit de 3 000 pages sur le conflit, Shelby Foote avait publié Shiloh en 1952. Mais c’est aujourd’hui seulement que paraît une traduction française, d’ailleurs remarquable, de ce qui, malgré l’absence d’indication en page de titre, est bien un roman.

 

« Mais ils tirent !... »

 

En témoignent les réflexions auxquelles se livre un des personnages : « Les livres sur la guerre [sont] écrits pour être lus par le Tout-Puissant, car Lui seul la [voit] ainsi. Dans notre cas, pour la décrire aux hommes, il [faudrait] raconter ce que chacun de nous [a] vu dans son petit coin ». Et celui qui rapporte ces propos de commenter : « Je comprenais ce qu’il voulait dire, mais c’étaient des paroles en l’air (…). Qu’on écrive ou qu’on lise, on veut voir les choses du point de vue de ce gros Œil dans le ciel, comme si on était Dieu ». À voir… Le problème, en tout cas, est posé : «Œil dans le ciel » ou « petit coin » ? Les deux premiers chapitres du livre de Shelby Foote semblent vouloir opter pour la première solution. Mais, dès que la bataille commence pour de bon, l’écrivain américain se range résolument à la méthode de Stendhal racontant Waterloo dans La Chartreuse de Parme.

 

Seulement, c’est une Chartreuse sans la naïveté enthousiaste de Fabrice ni l’ironie du narrateur. 7 chapitres à la première personne, 7 combattants qui parlent. 3 confédérés, 3 unionistes. Des officiers, mais surtout des hommes de rang. Et si on croise souvent des personnages historiques, si les faits sont reconstitués avec le maximum d’exactitude possible (l’auteur explique comment, dans une note finale), on est toujours à ras de terre : « Je les vis s’agiter, remuer, et de la fumée jaillit de la crête, une partie vers le haut et l’autre vers notre ligne, roulante et mêlée d’étincelles. Un bourdonnement d’abeilles frôla mes oreilles. Je me dis : Bon Dieu, mais ils tirent ! Ils me tirent dessus ! »

 

« Retourner en haut de la falaise »

 

Du jeune soldat qui parle, de ses compagnons ou de ses ennemis, on ne sait pas grand-chose. C’est à peine si on évoque leurs motivations ou, surtout dans les rangs de l’Union, leur absence de raison d’être là (« Cette guerre était tellement plus simple pour les Confédérés (…). Il devait être beaucoup plus simple de se battre pour quelque chose que contre »). Dans l’ensemble, l’entreprise de Shelby Foote repose sur un refus résolu de toute profondeur. Je parle de profondeur de champ. Car c’est justement ce refus qui rend profond le livre.

 

À quoi une telle absence d’arrière-plan laisse-t-elle en effet la place ? D’abord, à la peur. Rarement récit de bataille a parlé de manière aussi directe, et pour ainsi dire naturelle, comme d’une simple donnée de fait, des moments où les visages perdent « toute espèce d’affectation » et où ne reste « que ce que Dieu leur avait donné au début » ; des moments où il n’est tout simplement pas question de rester « là-haut dans les bois, à [se] faire tirer dessus » ; et de ceux où, réalisant qu’on ne pourra vivre avec le souvenir d’un instant de lâcheté, on retourne « en haut de la falaise ».

 

Mais, même sur un champ de bataille, on n’est pas en permanence face à la mort. Il y a aussi le froid, l’humidité, des troncs à enjamber, des pentes à gravir. « Des scintillements d’étoiles émaill[ant] la large étendue de ciel au-dessus de la rivière ». « La lune (…), d’un jaune vieil or, soulignée par un amoncellement de nuages qui fil[ent] devant elle ». La pluie, qui s’acharne sur les soldats entre deux trouées de lumière. Si la nature, dans Shiloh, ne se laisse jamais oublier, son évocation n’est pas l’occasion d’opposer son indifférente beauté à la folie des hommes. Ceux-ci sont sans cesse plongés dans un corps-à-corps avec les éléments, eux-mêmes impliqués, dirait-on, dans la bataille. Et c’est un mélange convulsif de corps, de boue, de végétaux, étalé sous nos yeux sans commentaire ni recul. Image la plus poignante et, sans doute, la plus absurdement exacte d’une guerre parmi tant d’autres.

 

P. A.

 

Illustration : lithographie de  Thure de Thulstrup, 1888

 

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