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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Ne pars pas avant moi, Jean-Marie Rouart (Gallimard)

Ne pars pas avant moi, Jean-Marie Rouart (Gallimard)  « Le Monde des livres » nous avait prévenus : « Plusieurs académiciens sont (…) présents dans la rentrée [littéraire] ». Eh bien, pourquoi ne pas aller faire un tour du côté de l'Académie ? On doit trouver là-bas des gens qui n'ont plus rien à prouver ni à perdre et peuvent du coup se permettre toutes les audaces. Et puis leur appartenance à l'institution fondée par Richelieu laisse espérer l'usage d'une langue impeccable, en tout cas correcte, par les temps qui courent mon bon monsieur c'est déjà beaucoup.

 

Le livre de Jean-Marie Rouart s'annonce comme un « roman autobiographique », appellation charmante et désuète qui incite déjà à le lire. Et, mon Dieu, il se lit plutôt agréablement, ce « roman », avec, disons, un ennui de bon aloi mêlé d'indulgence attendrie. Trois parties : « La passion » ; « La trahison » ; « L'abandon ». Vous avez noté l'assonance ?... Bien. Cela dit on ne voit pas trop ce qui change d'une partie à l'autre, tout l'ouvrage est construit sur la même alternance quasi systématique entre courts chapitres : souvenirs d'une adolescence ravagée d'ambition et de rancœur sociale / portraits des gens célèbres que, plus tard, une fois fameux lui aussi, l'auteur-narrateur a connus. Cette construction même a quelque chose de touchant, dans sa naïveté si fraîche et sans malice. Comme est touchante la confession qui, après plus de 180 pages, nous est accordée : « Oui, je l'avoue, il m'est arrivé de dîner chez des comtesses, des duchesses, des princesses (…) J'y ai rencontré parfois des gens intelligents, passionnants et généreux, d'autres ennuyeux et égoïstes. La conclusion que j'en tire, c'est que l'appartenance sociale, si prestigieuse soit-elle, n'est rien si elle n'est pas éclairée par de belles qualités humaines ». Voilà qui est d'un moraliste, et original.

 

Il est vrai que la quatrième de couverture nous promettait de la profondeur. Jean-Marie Rouart, y lisait-on, « s'interroge sur le mystère de la destinée et tente d'en comprendre les rouages secrets ». Carrément. Pour ma part je n'ai pas du tout saisi les réflexions qui ont sûrement présidé à l'alternance des souvenirs de jeunesse et des autres, ni à la succession de ces derniers. L'évocation des jalousies sociales et sentimentales de l'âge tendre est, quant à elle, tranquillement chronologique, avec un goût marqué pour la répétition (il faut avoir la place de caser tous les épisodes de la partie Revanche sur le destin malin) : il l'aimait, mais elle le trompait, donc il souffrait ; mais tout en le trompant, elle l'aimait ; donc elle lui revenait ; et ça recommençait, jusqu'à ce que ça s'arrête. En parallèle on a ce qui est certainement le plus important pour l'auteur, à savoir une succession de morceaux qu'il faut sans doute considérer comme étant de bravoure. Ils sont, en général, méchants, surtout pour les morts, moins dangereux que les vivants comme chacun sait : Guitton, Nourissier, Vergès en prennent pour leur grade ; Maurice Rheims nettement moins — et d'Ormesson, le maître de Rouart, frôle le statut de dieu vivant. Mais attention notre homme a aussi connu des gens vraiment importants : Gunter Sachs, vous le croirez ou pas. Et même Agnelli, celui de la Fiat, un « prince des temps modernes ». On en reste comme deux ronds de flan.

 

Pour ce qui est de la langue impeccable, au contraire, il faut reconnaître qu'on a de quoi être un peu déçu. Mais c'est peut-être là que gît l'audace dont j'évoquais plus haut la probabilité. Le culte de la « liberté » dont Rouart se réclame à tout bout de champ expliquerait alors cette syntaxe un peu spéciale (« un miracle qui n'a pas épargné sainte Blandine des violences d'un taureau furieux »), cet emploi particulier du vocabulaire (« chemin pavé de roses », écrivain « pétri dans l'encre et le papier », et, plus curieux encore, dans « le crayon, le cabinet de travail, la machine à écrire, la bibliothèque »). On reste rêveur malgré tout. Heureusement, Rouart, qui se déclare « enfant de Musset », se rattrape sur les images : « Jean Guitton m'observait du rayon laser de son œil » ; « la griffe du temps (…) saccage la jeunesse » ; les cygnes sont « tristes comme des drapeaux en berne » ; l'orage s'annonce, « comme le déchaînement bienfaisant d'un spasme amoureux ». Quel festival. Et puis, si certains craignaient de voir l'Académie atteinte par la décadence, rassurons-les : chaque nom ou peu s'en faut a son adjectif, toujours complètement inattendu ; la neige rend « les rues féeriques dans leur blancheur immaculée » ; l'odeur du maquis corse est « poivrée », le parfum d'un figuier « sucré », l'injustice de la mort « irrémédiable ».

 

L'Académie, c'est la grande affaire de Rouart. Il en parle sans arrêt : il nous conte les visites, la tentative d'abord malheureuse, le succès enfin… On sent bien qu'il n'en revient pas. Surtout quand il repense à ses origines modestes (enfin, tout est relatif). À ce propos, ne soyons pas malveillants, il y a un chapitre vraiment émouvant dans Ne pars pas avant moi. Il s'intitule « Le goût du sel » et raconte l'enfance du futur écrivain, confié par ses parents, « pour d'obscures raisons qui appartiennent au secret des familles », à un couple de pêcheurs de Noirmoutier. Ç'aurait pu faire un bien beau livre. Mais, hélas, ce n'est qu'un chapitre.

 

P. A.

 

photo 1.bp.blogspot.com

 

 Ce texte est paru une première fois le 28 août 2014 sur le site du Salon littéraire

 

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