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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

La Maison atlantique, Philippe Besson (10-18)

http-_ic.pics.livejournal.com.jpgOn devrait se réjouir. À côté des histoires vraies (gens célèbres, parents auxquels on rend un pieux hommage), à côté des récits qui se soucient du monde et de ses problèmes (guerres, ponts à construire et plaies sociales diverses), il y a encore de bons vieux romans comme autrefois, ou au moins comme dans les années 1950. Romans pour ainsi dire faits à la main et, prétendraient sans doute méchamment bien des gens, « à la française ».

Philippe Besson, qui publie en ce mois de janvier un Vivre vite mettant en scène James Dean, n’ignore donc rien des tendances les plus furieusement actuelles. Cependant, avec cette Maison atlantique parue en 2014 chez Juillard (cet homme écrit vite) et ressortie en poche au début de l’année 2015, il prouvait que les traditions les mieux établies ne lui étaient pas étrangères non plus. Il y a là la mer, l’été et ses plaisirs, « la sensation de vent de temps en temps, des éclaboussures de sable, le léger ruissellement de la crème solaire au creux du torse ». Il y a une famille : mère morte, fils révolté, père grand avocat et séducteur professionnel. Enfin, il y a les intrus : lui architecte, elle prof de lettres. Tout est donc en place pour que se rejoue un agréable remake de Bonjour tristesse mêlé d’un peu de Blé en herbe. Et on se fait à l’avance une fête d’entendre cette petite musique, qui aura, pense-t-on, le charme et les grincements des désormais antiques 45-tours.

Prétendre, comme le laisse espérer la quatrième de couverture, qu’on « tourne les pages fébrilement », ce serait cependant un peu exagéré. L’ardeur qu’on met à les tourner pâtit en effet, il faut le reconnaître, des multiples balises, annonces et panneaux indicateurs de belle taille qui les parsèment et interdisent vite d’avoir des doutes sérieux quant au déroulement d’une histoire déjà du reste en grande partie connue (voir plus haut). Mais tant mieux : on prendra son temps, un peu de paresse estivale va bien avec le paysage, et puis comme ça on peut se concentrer sur la psychologie. Dans ce domaine, Besson montre qu’il sait aussi être radical. Pas de concessions : à part la mère, qui ne peut plus nuire, toutes les femmes, à peu de chose près, sont, risquons le mot, des chiennes ; d’ailleurs le fils et narrateur, ayant sans doute compris cette vérité fondamentale (c’est un roman d’éducation), abandonne au milieu du livre sa petite amie pour un garçon sans qu’on discerne d’autres motifs à ce petit coup de théâtre. Mais il y a pire que la femme : c’est le père. Celui de La Maison atlantique, avec toutes ses maîtresses, est d’une malignité si intégrale et systématique qu’on reste impressionné devant l’audace d’un auteur qui envoie aussi franchement promener nuances et autres mièvreries.

Et pourquoi pas. La détestation de l’hétérosexualité pourrait constituer un thème comme un autre. Et puis l’ouvrage a tant de qualités d’autre part : morale omniprésente et sourcilleuse (« Ce n’est pas la faute qui l’a embarrassée, ce sont les conséquences »), acmés dramatiques (« Cette fois, Cécile n’a pas crié. Elle ne devait plus avoir assez de douleur en réserve »), lyrisme (« Les gens qui habitent des villes désertées à la morte saison s’en vont toujours sur la pointe de pieds »). Peut-être pourrait-on se sentir de temps en temps un tout petit peu agacé par les formules dont le narrateur, qui affirme au demeurant « détester » les « expressions toutes faites », jonche son propos : tous les « mais bon », les « ces deux-là », et autres « comme un boomerang » ou « les chiens ne font pas des chats » (c’est un roman sur la filiation). Oui, mais bon, c’est un jeune qui parle. Et par ailleurs, le grand souci de Besson reste la phrase. « Son style dépouillé est fortement inspiré de l’écrivain Marguerite Duras », lit-on quelque part. Duras, personnellement, je n’y aurais pas pensé. Mais dépouillé, ça il faut en convenir. Le moins qu’on puisse dire est qu’on n’est pas chez Proust. La preuve : « À l’adolescence, d’ordinaire, on ne contient pas ses fureurs. On les exprime. Même dans le désordre, même en se montrant injuste. On est dans la véhémence. Sans se soucier de renverser les tables. De causer des dégâts ».

Et c’est comme ça sur 175 pages. Mais je m’arrête : j’ai fait assez de réclame comme ça pour les plaies sociales et les vraies gens.

 

P. A.

 

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