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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

La Félicité du loup, Paolo Cognetti, traduit de l’italien par Anita Rochedy (Stock)

photo Pierre AhnneEn 2013 paraissait chez Liana Levi Sofia s'habille toujours en noir. J’avais aimé ce récit rapide, urbain, qui se voulait le portrait d’une époque, et dont la construction éclatée avait fait parler (selon moi, à tort) de roman à nouvelles. Entre-temps, Paolo Cognetti a changé de thèmes, sinon de style. Pour Les Huit Montagnes (Stock, 2017, déjà Anita Rochedy), il a reçu le prix Strega en Italie et le Médicis étranger en France. C’était une histoire de montagnes et de retour à la montagne, La Félicité du loup en est une aussi.

 

Ce qui, d’emblée, séduit, c’est que ça ne raconte presque rien. À quarante ans, Fausto, qui se voit comme un écrivain, quitte Milan, sa femme et son ancienne vie, pour retrouver des lieux explorés et aimés dès l’enfance. À « Fontana Fredda », station imaginaire du Val d’Aoste, où existe réellement un col portant ce nom, il se fait embaucher comme cuisinier au « Festin de Babette », par Babette, laquelle a suivi, quelques années plus tôt, le même itinéraire que lui. Là, il rencontre Silvia et « tombe amoureux ». D’elle, ou des lieux ?... Après la fin de la saison de ski, Fausto cuisine pour les bûcherons et monte de temps en temps voir Silvia, qui travaille à présent dans un refuge (réel) du côté du (réel) mont Rose — bien plus haut. À la fin de l’été, elle retourne en ville, tandis que lui décide de racheter l’établissement que Babette est lasse de tenir.

 

Question d’altitude

 

Bref, c’est l’histoire d’un homme qui reprend un restaurant. Oui, mais en montagne. C’est elle le personnage principal. Ou peut-être est-ce l’altitude en tant que telle : quand Sofia… était animé par un mouvement horizontal, ici, les déplacements ont lieu de haut en bas, ou inversement, et les mètres d’élévation déterminent les états d’esprit et les comportements des hommes. « Un mois de plaine », ils se retrouvent déjà « à des milliers de kilomètres ». Pourtant, « la montagne ne signifie rien en soi, ce n’est qu’un tas de cailloux sur lequel l’eau coule et l’herbe pousse ». Elle est « chargé[e] des significations que nous lui avons données », mais « parfaitement indifférente aux rêves [des] êtres humains », dont elle n’est que le puissant aimant.

 

Aussi ses paysages, quand ils nous sont décrits, portent-ils toujours les signes et les traces d’une action ou d’une intervention : « Les alpages étaient silencieux et déserts maintenant, les fosses à fumier vides, les baignoires renversées dans les prés ». Certes, la nuit, le glacier, « fluorescent », « capt[e] la lueur du ciel étoilé et la renv[oie] dans la nuit ». Mais c’est encore là une sorte de dynamique. Des blocs rocheux, ailleurs, « [ont] été charriés en aval » à moins qu’« un effondrement » les ait « fait rouler jusque-là ». « Les crêtes du mont Rose sembl[ent] avoir été taillées à coups d’épée ». On n’est jamais dans la contemplation statique et romantique. Si les odeurs jouent un grand rôle, c’est qu’elles renseignent sur des événements imminents ou en cours : « Au village, quelqu’un devait déjà être debout. Il sentit une odeur de feu, qui était une odeur d’homme… ». On est dans la tête du loup, le loup du titre, en proie à une permanente « intranquillité » et qui, toujours, va « chercher sa félicité ailleurs ». Ce roman si pauvre en action est une histoire en mouvement.

 

« Du vent » et « de la neige »

 

Si bien qu’il est à nouveau construit, même si, cette fois, la chronologie est respectée, sous forme de courts chapitres avec souples changements de point de vue. Ils ont pour titre : « Un soir de vent », « Le bois tombé », « Les cheveux »… Des titres de haïkus. Car Fausto également a changé de manière : avant, il écrivait « des histoires de couples », avec « des bières, des autoroutes, des stations-service, des cigarettes ». Maintenant, au cours de ses marches en montagne, « il tent[e] de mettre en mots ce qui l’entour[e] ». Silvia lui a offert un livre sur Hokusaï, il lui fait cadeau, en retour, d’un cahier qu’il a intitulé « Les Trente-Six Vues de Fontana Fredda ». On y trouve de « courts chapitres » qui parlent « d’un arbre frappé par la foudre », « d’une chute de neige tardive », « de coupe de bois en forêt »…

 

Dans ses chapitres à lui, Cognetti, l’écrivain réel, pratique, comme dans les haïkus, une sorte de lyrisme factuel. Sur un sujet qui pouvait faire craindre bien des choses (emphase et communion, écologie et idéologie…), il bâtit un roman tout en émotion sèche, et sa montagne est une épure sur laquelle chacun peut rêver à son gré. De ce point de vue, les propos du Sherpa employé au refuge où travaille Silvia ont valeur de mise en abyme : « Qu’est-ce qu’il y a là-haut ? Du vent. Du vent ? Et de la neige. Mais encore ? Peut-être bien aussi du soleil. S’il n’y a pas de nuages ! »

 

P. A.

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