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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Emmanuelle Lambert, aimez-vous parler de vos livres ?

Pour fêter le dixième anniversaire de mon blog, créé en septembre 2011, j’ai demandé à des écrivains que j’ai rencontrés ou dont j’ai parlé au cours de ces dix années de répondre à une question : « Aimez-vous parler de vos livres ? » Les textes qu’ils m’ont fait l’amitié de m’adresser paraîtront, à raison d’un par semaine, dans l’ordre où ils me sont parvenus.

 

Dans son roman La Tête haute (Les Impressions Nouvelles, 2013, voir ici) se dissimulait la biographie d’une de ses aïeules. L’essai qu’elle consacra à Genet (Apparitions de Jean Genet, Les Impressions Nouvelles, 2018, voir ici) est sous-titré « récit », et celui pour lequel elle obtint, en 2019, le Femina essai (Giono, furioso, Stock, 2019, ici), est sous-titré « roman ». Quant à l’émouvant récit écrit après la mort de son père (Le Garçon de mon père, Stock, 2021, ici), il n’est pas sous-titré, mais se distingue tant du roman que du portrait, de l’autoportrait, du tombeau, tout en se situant aux frontières de ces divers genres.

 

Commissaire d’exposition, éditrice (De Genet dans la Pléiade, avec Gilles Philippe, en 2021), écrivaine insaisissable, Emmanuelle Lambert est une artiste de l’écart, du décalage, de tous les pas de côté. Ses livres aux constructions raffinées, portés par une écriture bondissante, abordent l’essentiel par le jeu du détour, de l’apparente digression et du cheminement sinueux. À eux tous, ils composent d’elle un autoportrait en devenir. Mais si elle est présente en chacun d’eux, ce n’est jamais là où l’attendait.

 

 

Photographie de Magali Lambert

 

 

La télé et le frigo

 

           « Aimez-vous parler de vos livres ? » À cette question, l'envie est grande de répondre un Non pur et simple, et basta. Mais elle provient de Pierre Ahnne, écrivain dont la finesse critique s'épanouit dans un dialogue incessant avec les livres des autres. Elle est donc posée, non à dessein, mais dans son dessein le plus pur : d'écrivain à écrivain.

            Il me semble qu'il le sait, la réponse ne peut être que Non. Alors ? Mes camarades de réponse – car nous sommes quelques-unes et quelques-uns, je crois, à fêter le dixième anniversaire de son blog en tentant de répondre – auront-ils tous dit Non ? Aura-t-il à la fin une farandole de Non, assemblés en collection comme un collier de nouilles de fête des Mères ? Allez, la grande confrérie écrivaine, venez, on va tous faire comme Beckett (plus ou moins), « bon qu'à ça ». Ou comme Michaux. On va tous dire Non.

            Une fois qu'on l'a dit on n'a pas dit grand-chose, cependant. On a posé. On s'est fait plaisir. On a fait un acte. Affreuse formulation pour des gens d'écriture ou de poésie. Normalement nous devrions tous aller derrière la question. C'est ça, un artiste, ça gratte derrière.

            J'imagine qu'on pourra constituer, selon les réponses, l'équipe du pourquoi (Pourquoi je n'aime pas parler de mes livres). La vie et le labourage physiologique de l'écriture font que j'aimerais plutôt appartenir à l'équipe B, qui préfère parler du comment. Elle est un peu laborieuse, elle tâtonne, elle sue les mots. Elle est parfaitement incapable de répondre au Pourquoi. A la lettre elle ne sait pas. En réalité il faut le dire tout bas, elle se fout du pourquoi.

            Les absolutistes, dont j'aimerais être en idée, et dont je ne suis pas en actes, veulent que seul le texte parle. Les artisans patients de l'écriture, dont j'espère être, savent qu'ils sont coincés avec leur parole sur leur livre, mal nécessaire à leur diffusion. Certaines écrivaines ou écrivains ont fait de délicieuses miniatures de ce genre d'exercice. Je ne sais qui s'y sera perdu, il faudrait le leur demander, la plupart sont morts. Ils nous regardent depuis leur malice ou leur rouerie (Sagan, Duras, Robbe-Grillet...), main dans la main avec les grands silencieux, qui pouvaient encore se taire (Simon, Gracq, Beckett...).

            Parler de mes livres, c'est donc toujours parler de Comment je les ai écrits – et c'est aussi réfléchir à comment en parler le mieux possible. Il s'agit là d'une mission harassante, car si l'on n'est pas conscient que parler, ça ne suffit jamais à vivre, eh bien l'on n'écrit pas. On parle de ses livres, on s'épuise à faire, pour eux, quelque chose qui leur est intrinsèquement contradictoire. Toujours, l'implosion nous guette. Et à chaque fois que je parle de mes livres, j'ai en tête l'œuvre de John Giorno : « Tu as l'air d'une télé assise sur un frigo. »

           C'est ici, me semble-il, qu'il me faut parler du frigo. Car dans le comment parler de ses livres, il y a l'assise. Le contexte. L'occasion : en/hors période de promotion, en privé/en public, en table ronde/en tête-à-tête, sur scène/dans une librairie, en rencontre/en spectacle... Il y a ce sur quoi on s'appuie pour parler, ce qui donne forme à la parole. Il y a les autres. Et selon la manière dont ils s'emparent de la chose, il peut se produire un événement rare, qui supprimera la menace d'implosion de la télé tournant à vide, et qu'on appelle un dialogue. Où, en parlant de ses livres, on n'en parle plus car, subitement, quelqu'un a fait irruption pour planter son salon, son bureau, ou sa bibliothèque, au beau milieu de vos pages. Où vos livres sont alors devenus le prétexte à accueillir l'envers du cirque médiatique/promotionnel/mondain/mal nécessaire, tout aussi constitutif de l'écriture que l'écriture elle-même : la lecture. Où, parlant de vos livres, votre lecteur vous prend par la main, et vous conduit nécessairement à vos lectures ; elles sont la chair de cet être synthétique muet, mais sensible, qu'est un écrivain. Là, on y est. Ces moments seuls m'autorisent à répondre un Oui timide, et très exceptionnel, à la question de Pierre. Oui, j'aime alors parler de mes livres, parce que je ne parle pas ; j’écoute quelqu'un d'autre les lire, je m'absente non pour regarder la télé qui refléterait mon image à vide, mais pour contempler le paysage dansant des souvenirs de lecture. Tout y est éclaté, explosé, indécis. Tout y est vivant. On y respire tant qu'on pourrait presque y écrire.

 

Emmanuelle Lambert

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M
Cette réponse à ta question, qui est aussi bien autre chose, me donne envie d’en savoir plus sur cette auteure. Et d’abord de la lire un peu plus.<br />  
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V
Après Alain Blottière et Marie Sizun, je crois que je vais aller à la rencontre d'Emmanuelle Lambert...J'ai son livre sur Giono dans ma bibliothèque, je l'ai offert mais ne l'ai pas lu...Parfois, il faut savoir attendre qu'un livre nous fasse signe...
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