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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Comme une gazelle apprivoisée, Barbara Pym, traduit de l’anglais par Bernard Turle (Belfond [vintage])

www.aufeminin.comLe bestiaire de Barbara Pym est éloquent : La douce colombe est morte, Comme une gazelle apprivoisée, ces titres disent bien la prudence d’héroïnes peu disposées à se lancer dans l’émotion forte, ainsi que le cadre agréablement étriqué de leur existence. Ils suggèrent aussi, dans un jeu de miroirs narquois, leur besoin de « quelque chose à aimer, oui, tout [est] là, comme une gazelle (…) ou une (…) colombe, ou même comme un vulgaire caniche ». Leur drame est tout entier dans cette contradiction.

 

Entre vicaire et archidiacre

 

Ce premier roman ouvre pour l’écrivaine anglaise une période de succès à laquelle devait succéder l’oubli, puis une renaissance, dans les années 1970, qui se prolongerait jusqu’à sa mort, en 1980. La gazelle est Belinda, dont les « yeux verdâtres, d’une grande douceur, [sont] dignement masqués par des lunettes de corne ». Comme Barbara Pym le fit elle-même, elle vit avec sa sœur — Harriet, « vieille fille élégante et bien en chair de cinquante et quelques années ». Harriet est amoureuse du vicaire, comme elle l’a été de tous ceux qui se sont succédé au village ; mais c’est un certain Mr Mold qui va lui proposer le mariage ; pas du tout son type ; elle refusera. Quant à Belinda, elle aime depuis trente ans l’archidiacre, lequel regrette peut-être d’avoir plutôt épousé l’impérieuse Agatha ; c’est cependant l’évêque de Mbawawa (Afrique), de passage au pays natal, qui lui offrira de devenir sa femme; elle trouve qu’il ressemble trop à un mouton. Le prélat éconduit se rabattra sur Miss Aspinal, qui n’y croyait plus. Et les noces du vicaire et d’une autre miss viendront clore le roman — tandis que, heureusement, un nouveau vicaire prend la place du jeune marié.

 

On trouve déjà ici les cœurs solitaires et les hommes d’Église (anglicans) à marier qui peupleront Des femmes remarquables, également en [vintage] (voir ici). L’humour aussi est déjà là, avec la fascination pour le quotidien le plus limité. L’organisation des repas tient une grande place, et, sur la liste des courses, Belinda écrit « café, riz, paille de fer, savon de ménage », à quoi sa sœur ajoute « pêches au sirop, génoise, sherry (pas pour la cuisine) ». On passe beaucoup de temps à décorer des stands pour les fêtes paroissiales, en s’interrogeant sur la meilleure manière d’y placer les courges (« Je crois que, disposées en pyramides, elles feraient beaucoup d’effet »).

 

Cœur brisé et chaussons de nuit

 

Belinda, cependant, est beaucoup plus sentimentale que ne le sera l’héroïne-narratrice du deuxième roman de l’auteure. « Elle sent ses yeux s’emplir de larmes » quand elle entend ou lit les vers des poètes anglais des XVIIIe et XIXe siècles, abondamment cités et, pour la plupart, inconnus du lecteur continental (le traducteur, qui s’en doutait, a prévu des notes bien utiles).

 

L’intrigue de ce roman-ci est aussi, par rapport à l’autre, encore plus systématiquement statique et privée de vraies péripéties. On pense à Jane Austen, bien sûr, mais aussi, comme ce sera toujours le cas, à Virginia Woolf, si ce n’est à Beckett. Car, malgré la gaieté de ces « demoiselles d’un certain âge pleines d’allant », promptes à rire des autres et d’elles-mêmes, le sentiment du vide et de l’absurdité de la vie est là sans cesse, évident, tranquille, assumé. Une lucidité sans indulgence règne dans tous les esprits. Belinda sait bien « que son propre cœur, qu’on lui [a] brisé à l’âge de vingt-cinq ans, s’[est] parfaitement remis au fil des ans » : « son amour [est] comme un vêtement douillet et confortable, des chaussons de nuit peut-être, voire une combinaison de laine ». Si, en parlant toujours de mariage, on se marie si peu, chez Barbara Pym, c’est que, « lorsqu’on att[eint] un certain âge, (…) tout changement [est] un mal en soi ». Sans compter qu’à en juger aux quelques exemples effectifs, l’union conjugale n’apparaît pas comme un sort si enviable que ça.

 

Bref, il y a « un certain plaisir à ne pas faire quelque chose ; on s’évit[e] ainsi de voir la morne réalité réduire ses grandes espérances à néant ». Impitoyable Miss Pym… La morale à bas bruit de ses récits de vies minuscules est peut-être, à y regarder de près, plus cruelle que les désespoirs les plus bruyants. Et, élégance suprême, elle est aussi plus drôle.

 

P. A.

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