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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Fabienne Verdier, Les formes de l’invisible, Stéphane Lambert (Arléa)

Monet, Goya, Spilliaert, Klee, Van GoghStéphane Lambert n’en finit pas d’interroger les peintres. Non dans une intention biographique, et pas davantage pour se peindre lui-même face à leurs œuvres. Il y va bien plutôt d’une quête commune à eux et à lui, dont l’objet, toujours dérobé, est dans le cheminement même qui cherche à l’atteindre.

 

« Multiplicité » et « substrat »

 

Il y a « un autre lieu (…), abrité sous tous les lieux », disait notre auteur dans Vincent Van Gogh, L’éternel sous l’éphémère (Arléa, 2023, voir ici). Et je me permettais d’expliciter en évoquant la continuité du réel sous la discontinuité apparente des êtres et des choses. « Derrière la multiplicité se cache un substrat », écrit ici Stéphane Lambert en songeant à l’œuvre de la grande artiste dont il s’apprête à parler. Comment dès lors s’étonner que, se rendant chez elle, il précise : « Le rendez-vous est fixé (…) depuis bien plus longtemps que l’échange de nos coordonnées une semaine plus tôt » ?

 

Rappelons en deux mots qui est Fabienne Verdier. Après les Beaux-Arts de Toulouse, elle étudia plusieurs années au Sichuan Fine Arts Institute, à Chongqing, puis fut pendant deux ans attachée culturelle à l’ambassade de France à Pékin. De retour en France, elle tire le bilan de cette expérience dans Passagère du silence (Albin Michel, 2003). Ce seront ensuite plusieurs expositions, jusqu’à la grande exposition de 2022-2023 au musée Unterlinden de Colmar, où ses toiles sont juxtaposées aux peintures médiévales qui les ont inspirées. En ce moment on peut voir ses œuvres à la Cité de l’architecture à Paris, au Centre Pompidou Metz et au Domaine de Chaumont-sur-Loire (voir ici).

 

Stéphane Lambert lui a rendu de fréquentes visites dans son atelier, a longtemps contemplé ses travaux. En est résulté ce petit ouvrage, illustré de reproductions d’œuvres de Fabienne Verdier ou d’autres peintres, dont le texte fut d’abord celui du catalogue de l’exposition Retables, tenue simultanément à Paris et à Londres en 2024.

 

 

« Ce qui fait être » et « ce qui est »

 

« À la manière d’un entomologiste, je vais tenter d’épingler certains aspects importants à mes yeux du travail de l’artiste, tout en sachant que le grand flux dont émanent les formes n’admet pas ce genre de séparation », avertit Lambert. Après quoi il reparcourt les grandes étapes du cheminement de la peintre, en partant de son souci, au retour de Chine, d’ouvrir une « porte » entre Orient et Occident, et pour ce faire d’intégrer l’influence de la peinture chinoise à un langage pictural inspiré de l’expressionnisme abstrait et du minimalisme américain. Puis viennent les « Walking Paintings », pour lesquelles un gros pinceau gorgé de peinture est promené sur la toile, dessinant une ligne autour de laquelle « le chaos des éclaboussures renvoie au chaos originel ». Plus tard, les « Rainbow Paintings » déploient un « dégradé chromatique » où s’estompe l’opposition du fond et du trait. Enfin, la série des retables tend à « une forme de syncrétisme » qui mêle « liturgie chrétienne » et « esthétique asiatique ».

 

À travers cette diversité de techniques et de moyens, l’objectif est toujours le même : peindre « ce qui fait être » plutôt que « ce qui est ». Pour cela, c’est « l’énergie cosmique » qui doit se déployer dans le geste de l’artiste, de telle sorte que « la fluidité découle de l’interdépendance » entre les composants du monde. « Intérioriser les mouvements cosmiques » et « les restituer » par le geste créateur, telle est, ni plus ni moins, l’ambition qui fonde le travail de Fabienne Verdier et ses choix artistiques.

 

Une telle volonté de « se tenir au plus près du vivant » et de toucher ainsi à « une cohérence derrière l’infinie diversité », Stéphane Lambert parvient à nous la faire ressentir elle-même comme une continuité travaillant sous les variations qui modulent l’œuvre. Une volonté qu’il partage, et qui renoue avec un des grands rêves de la modernité picturale mais aussi, et depuis Flaubert, littéraire : transgresser les limites de l’existence individuelle pour « plonger vers l’inexprimable de la matière ».

 

P. A.

 

 

Illustrations :

1. Fabienne Verdier au travail (https://www.revuelepassemuraille.ch)

2. Margarete. La pensée labyrinthique II, 2011 (https://fabienneverdier.com)

3. Était-ce le printemps ? Était-ce l'été ? 2023 (https://www.galerie-lelong.com)

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