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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

X… roman impromptu, Georges Auriol, Tristan Bernard, Georges Courteline, Jules Renard, Pierre Veber (Mercure de France)

www.pinterest.frC’est arrivé trois fois dans l’histoire littéraire française… En 1845, Delphine de Girardin, Théophile Gautier, Jules Sandeau et Joseph Méry s’étaient associés pour écrire La Croix de Berny. En 1926, Paul Bourget, Pierre Benoît, Henri Duvernois et Marie de Heredia (sous le pseudonyme de Gérard d’Houville), produiraient ensemble Le Roman des quatre. Entre les deux, Georges Auriol, Tristan Bernard, Georges Courteline, Jules Renard et Pierre Veber écrivirent ensemble cet X… roman impromptu, paru par épisodes en 1895 dans le Gil Blas et que le Mercure republie aujourd’hui dans sa collection « Le Temps retrouvé ».

 

Sur les cinq auteurs, trois n’ont pas besoin d’être présentés. Pour ce qui est des deux autres, j’avouerai humblement avoir beaucoup appris de la courte et précise préface, due, de même que les notes, à Sandrine Fillipetti. J’y ai lu que Georges Auriol (de son vrai nom Jean Georges Huyot) était poète, chansonnier, peintre et graveur ; que Pierre Eugène Veber était romancier, journaliste, et beau-frère de Tristan Bernard. Tous ces gens, y compris ceux dont la postérité a mieux retenu les noms, fréquentaient plus ou moins la « bohème montmartroise », dépeinte par Courteline au chapitre XXIX.

 

Qui fait quoi ?

 

La division en chapitres, justement, semblait prédestiner le genre romanesque à des collaborations de cet ordre, et on peut somme toute s’étonner qu’elles n’aient pas été plus fréquentes. Nos cinq auteurs avaient tiré au sort l’ordre de leurs interventions, qu’ils ne respectèrent pas toujours. Mais, dans l’ensemble, ils s’en tinrent à la règle étendant et limitant ces interventions à un chapitre à chaque fois. Règle d’ailleurs à peu près unique, mise à part l’interdiction de faire mourir le personnage censément principal, X, dont on n’apprendra le nom ( ?) qu’à la fin.

 

On joue évidemment sans cesse à deviner qui écrit quoi (solutions en fin de volume). Et on n’y arrive pas vraiment, même si Jules Renard est le plus sec, si Tristan Renard et Courteline veulent le plus obstinément faire rire. C’est souvent chez les deux autres qu’il faut chercher de brusques notations poétiques : « Les gaziers avec leurs perches prenaient au vol les papillons de clarté des réverbères » (Veber) ; « Au dehors, on entendait l’aigu glapissement d’un rempailleur de chaises et la mélancolique ritournelle d’une marchande de mouron » (Auriol). Cependant, l’auteur de Messieurs les Ronds-de-Cuir donne, dans une traversée hallucinée du Paris nocturne, un exemple de l’inquiétante étrangeté qui aurait pu faire de lui, s’il n’avait pas tant voulu donner dans le comique, un lointain précurseur de Kafka.

 

Obsession sexuelle et veau froid

 

 L’entreprise dans son ensemble est d’ailleurs placée, plutôt que sous le signe de l’absurde, sous celui de la loufoquerie délibérée : apparitions et disparitions de personnages, rebondissements d’autant plus improbables que chacun a tendance à suivre sa petite idée (« Je reprends le récit au point où je l’avais laissé, faute de place »), sans trop se préoccuper de ce que font les autres (« Mes nombreuses occupations ne me permettent pas de lire X…, si bien que je n’étais pas au courant de cette fin prématurée »). En dépit de quoi les clins d’œil entre nos cinq lurons sont incessants (« Il n’y a pas un mot de vrai dans tout ça, et je déplore que Tristan Bernard se soit laissé entraîner à ce point par la fougue de son imagination »).

 

Bien sûr, ils s’en donnent à cœur joie pour pasticher les vrais feuilletons populaires, et les phrases comme « La foule devint pâle de surprise » ou les interventions du narrateur sur le mode « On se souvient qu’à ce moment le capitaine, etc. » abondent. On est dans le burlesque, et le choc des tonalités donne souvent des résultats passablement désopilants : « Le mari, avec un violent effort sur lui-même, fit un pas vers sa femme, et, d’une voix un peu altérée : ­— Auriez-vous, lui dit-il, un peu de veau froid ? »

 

À cela s’ajoute, pour le lecteur actuel, la saveur des détails d’époque et d’une vie urbaine disparue. L’obsession sexuelle généralisée est d’époque, elle aussi. Mais, au total, c’est une face un peu méconnue de la période 1900 qu’on découvre ici, loin de la décadence et de l’esthétique Guimard. Ce qui n’empêche qu’en arrière-plan de ces facéties où toute une société paraît chercher, parfois un peu laborieusement, l’insouciance, des grincements se font entendre qui annoncent sans équivoque les angoisses de la modernité. Décidément, drôle de fin de siècle.

 

P. A.

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