Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
C’est un roman d’époque. Aurore, mère esseulée d’un petit Cosma qui fait un excellent personnage secondaire, est une femme en crise. Elle ne supporte plus son travail, ni ses rapports avec les hommes (« Pourquoi tout ce tralala, le parfum, le cœur en avance sur son temps, la répétition, les mots, les baisers dans le cou, pour un geste gynécologique avec un collaborateur ? »). En plus, Cosma, à l’école, « a embrassé Marguerite sans lui demander » (heureusement, celle-ci « n’a pas de traumatisme apparent »). Pour couronner le tout, la mère d’Aurore meurt. C’en est trop, la voilà loin de Paris, en télétravail dans la maison, sur le causse de Cajarc, que lui a laissée (croit-elle) ladite mère.
Alexis, acteur très connu, est en crise aussi. La preuve : il disparaît, abandonnant le rôle de Dom Juan, qu’il répétait, à la comédienne choisie pour jouer Elvire. Alexis n’a pas agi par vertu. Depuis un certain temps déjà « il relevait des signes toujours plus nombreux », des « sous-entendus », des « regards »… Pourtant, juré au concours d’entrée au Conservatoire, il s’est laissé éblouir par la jeune Chloé. Séduction, liaison dissymétrique, abandon, elle se suicide. Devançant le déchaînement médiatique et judiciaire (lequel tournera court) le piteux Dom Juan s’enfuit dans une maison du Lot qu’il avait discrètement achetée en viager à une vieille dame : la mère d’Aurore… Maria Pourchet raconte leur rencontre, et ce qui sortira de cette situation de comédie noire et rose.
Histoire d’histoires
C’est un roman d’époque mais c’est un roman intelligent. D’abord il n’est ni émotionnel, ni sentimental, ni pressé d’entonner les refrains et d’adopter les indignations obligatoires. Rien ne sera atténué de la vilenie d’Alexis, mais rien non plus de la complaisance des médias, représentés par un « émotif journaliste voué à la défaite du patriarcat dans une publication vouée au sauvetage de la démocratie ». « Le problème avec l’emprise c’est son synonyme, l’amour », note celle qui nous parle. Et une des questions centrales ici est celle de savoir s’il y a des amours innocents.
L’usage constant du point de vue omniscient permet une réflexion surplombante ne portant pas tant sur les faits que sur les manières de les dire. La référence au western, affichée comme la grande idée du livre et sans cesse rappelée, n’est pas ce qu’il y a de plus convaincant, cependant elle pointe ce qui constitue peut-être le vrai thème : « à l’Ouest on vit d’air et de légendes », et cette histoire d’amour est pleine d’histoires. Celle que racontent la rumeur publique et la presse, avant le scandale (« L’histoire de l’homme blanc qui, atteignant en même temps que le sommet de sa carrière un impressionnant plan de conscience, se dépossède de sa gloire au profit des femmes du même âge ») et après (Alexis instaure une « guerre par le langage » qui « laissera Chloé sur le carreau »). Celles aussi que racontent les personnages. Aurore est « une romantique pathologique », « une qui ne voulait plus d’histoires, tu parles » : avant de devenir dans les dernières pages la narratrice qu’elle n’a sans doute jamais cessé d’être, elle se sera racontée elle-même et, surtout, aura exigé d’Alexis qu’il en fasse autant, dans une longue confession peut-être en partie fausse.
Oui, ce livre est d’époque, d’une époque qui a la manie des récits. Et il aborde sans trembler le récit par excellence : celui dont l’amour est l’objet. La quatrième de couverture a raison de souligner qu’il interroge la place que notre temps « peut encore laisser au langage amoureux ». Au discours du faux amour, qui est stratégie (tel qu’analysé, l’auteure le signale en fin de volume, par Barthes), s’oppose un autre usage amoureux de la langue et, par-delà la morale, un autre amour possible. « À cet instant, elle, elle lui a dit la vérité. Pas ce qu’elle pense, ça elle n’en sait rien, mais (…) par exemple, j’ai envie de pleurer tant vous me plaisez. Je voudrais m’approcher et je suis tout près »…
Affaire de style
« À cet instant », on sort de l’ironie qui prévalait dans la majeure partie du livre. Un livre intelligent, mais peut-être un peu trop. Un peu trop de références, un peu trop de boucles et de virevoltes dans l’exposition virtuose, un peu trop de mise en abyme – « Aurore trouve que ça pue la figure de style (…). L’idée rend sûrement très bien en peinture ou au cinéma mais pour la vie ça sonne faux ».
« Trop de figures de style », dit-elle... L’« écriture éblouissante » vantée aussi par la quatrième de couverture serait-elle trop éblouissante ? L’ironie permanente, à force d’éclat, fatigue un peu. Et le brio a vite fait de verser dans l’effet (« Elle doit sa nouvelle maison à la mort de sa mère et sa nouvelle fonction à la mort du travail »), voire dans la préciosité : « Devant ce défi d’intelligence et d’adaptation rampante, semblant soutenir le mur qu’en vérité ce lierre dévore sous prétexte d’ornement, elle voudrait qu’on lui apprenne que le premier homme ne descend pas de la dernière brute crétacée mais du végétal ».
Faut-il vraiment faire les difficiles ? Une réflexion, pas de moralisme, une écriture, pas de fautes de français, de l’humour… Oui, mais l’intelligence et le talent exigent des lecteurs exigeants.
P. A.
Illustration : Francesco Hayez, Le Baiser, 1859, détail