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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Un millier d’années de bonnes prières, Yiyun Li, traduit de l’anglais par Françoise Rose (10-18)

http-_www.moimessouliers.orgLe cinéaste Wayne Wang a réalisé en 2007 un beau film méditatif d’après la nouvelle qui donne son titre au recueil. L’année suivante, il en adaptait une autre, La Princesse du Nebraska. Comme lui, Yiyun Li était venue de Pékin aux Etats-Unis pour faire des études de médecine et y est restée. La traduction de son roman Plus doux que la solitude étant parue en septembre 2015 chez Belfond, 10-18 vient de rééditer Un millier d’années de bonnes prières, publié chez Belfond déjà en 2011.

 

La place pour être soi

 

C’est assez rare que toutes les nouvelles d’un recueil soient de la même qualité. Si tel est le cas pour celles-ci, peut-être faut-il en voir la cause dans le fait qu’elles racontent toutes, d’une certaine façon, la même histoire. Chacun des personnages est en effet devant un unique problème, décliné en onze situations contrastées : quel minuscule espace préserver pour être soi, pris comme on l’est entre le double écrasement de l’oppression politique et de la tradition ancestrale ? D’un côté, le régime, celui de Mao pour les plus âgés, de Tiananmen pour leurs enfants, ou cette nouvelle Chine « où tout le monde ou presque ne pens[e] qu’à l’argent ». De l’autre, le malheur d’être femme (« une maladie en soi »), les mariages arrangés, les lois de la piété filiale (« Être l’enfant de quelqu’un est un travail ardu, un poste dont on n’a pas le droit de démissionner »).

 

Une vieille inquiétude chinoise

 

Chacun essaie de faire face comme il peut à ces deux tyrannies qui s’additionnent. On place son identité dans le rapport à un objet bien vivant ou futile : Grand-mère Lin s’attache au petit Kang, que sa famille délaisse, et qui, quant à lui, vole les chaussettes des filles de l’internat ; monsieur et madame Su ont Beibei, leur fille anormale ; monsieur Du a ses orchidées ; il arrive que « les graines de tournesol en provenance exclusive de chez Gong fruits et légumes secs »  soient une des seules choses « qui rendent la vie supportable ». On arrive aussi quelquefois à l’aménager en se créant des « arrangements » compliqués et toujours précaires, comme la jeune Sasha et l’un peu plus âgé Boshen, tous deux amoureux du beau Yang. Le départ pour l’Amérique, quand il est possible, apparaît comme une solution, mais on finit toujours par retourner à Pékin, « un passeport américain tout neuf en poche, et une vieille inquiétude chinoise au cœur ».

 

La tragédie, souvent l’horreur, sont toujours là, à l’arrière-plan. On les découvre la plupart du temps de manière indirecte et comme en passant, tant elles font naturellement partie du décor. Et ce ton presque détaché, lisse, cet art de ne dire l’indicible, et avec quelle netteté, que du bout des lèvres, font le prix de ces récits d’une poignante élégance, qui sont autant de petits « tombeaux » pour des gens sans autre histoire que celle de millions d’autres. À travers l’évocation de leur combat pour être des individus malgré tout, Yiyun Li dessine sans le dire l’espace d’une réflexion possible sur ce qu’être un individu veut dire, au fond.

 

P. A.

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