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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Mr. North, Thornton Wilder, traduit de l’anglais par Éric Chédaille (Belfond [vintage])

http-_images.lpcdn.caC’est le dernier livre de Thornton Wilder. Deux ans avant sa mort en 1975, l’écrivain aux trois Pulitzer avait voulu retourner au temps de sa jeunesse, et peut-être laisser de lui un autoportrait rêvé et testamentaire en forme de kaléidoscope.

 

Combien de livres, en effet, dans ce livre dont les chapitres pourraient se lire comme autant de nouvelles s’ils n’obéissaient pas à un double projet : construire par touches successives l’image du romancier lui-même et le portrait d’une société américaine divisée en classes résolument étanches.

 

Les vocations de Théophile

 

Soit donc Mr. North… Il a la petite trentaine qu’avait Wilder lui-même au milieu des années 1920 et vient de quitter l’enseignement — activité que l’auteur exerça toute sa vie. Le voici à Newport, dans l’État de Rhode Island, station chic qui abrita de nombreux écrivains, dont Henry James et Edith Wharton. Pour subvenir à ses besoins, North y enseignera le tennis aux enfants du gratin et y jouera les lecteurs à domicile pour leurs grands-parents. Mais, très vite, sa réputation croissant dans ce petit monde cloisonné, on lui demandera bien d’autres services… Et, de chapitre en chapitre, explorant les milieux sociaux et familiaux de cette Amérique du temps de la Prohibition, le romancier va laisser son personnage déployer toute la palette de ses innombrables talents.

 

C’est qu’il en a, des dons, ce Theophilus dont le prénom figure dans le titre original ! Plutôt que d’aimer Dieu, il semble surtout avoir été gâté par Lui. Au cours de son enfance et de son adolescence, nous dit-il dans les premières pages, il a successivement voulu être saint, anthropologue, détective, magicien, amoureux, j’en passe… Cette énumération est une annonce. Qu’on en juge : monsieur North ramène à la raison une fille de famille qui allait se faire enlever ; il met fin à la mauvaise réputation d’une maison prétendument hantée ; délivre un vieux monsieur de la tyrannie de sa fille ; disperse une bande de faussaires ; libère un adolescent de ses complexes ; rabiboche un couple qui battait de l’aile ; rend service à la femme d’un sous-officier de marine en lui faisant enfin l’enfant que son époux espérait en vain depuis des années… Quel Fregoli ! Et, à chaque fois, on le remercie, on le loue, lui-même ne manquant pas de souligner au passage l’adresse et la pénétration dont il a su faire preuve. Au point qu’on en vient rapidement à se demander s’il ne se paie pas notre tête, ce héros-narrateur qui remarque incidemment : « Le lecteur n’aura pas manqué d’observer que moi, Theophilus, je n’hésitais pas à affabuler pour mon propre amusement ou pour le bénéfice d’autrui » ; et, plus loin, enfonçant le clou : « Je [ne suis] pas étranger à l’imposture, mais j’entends n’y recourir que lorsque cela me chante ».

 

Homère et le Bottin mondain

 

Bref, North nous raconte des histoires. D’ailleurs les références livresques abondent dans le roman de Thornton Wilder : Gulliver, Berkeley, Homère… et, dans la chambre d’amis, chez une dame assez peu vertueuse, « sur chaque table de nuit, un exemplaire du Bottin mondain et un autre de Gatsby le Magnifique ». Chaque chapitre, dirait-on, explore un genre littéraire différent, nouvelle policière, conte fantastique, mini-roman d’amour, portrait psychologique…, le tout tenant du journal intime et, peu ou prou, du récit d’éducation. Pas de doute, l’auteur de Notre petite ville voulut finir sa vie et sa carrière en feu d’artifice, sous le signe de la liberté, brandi dès les premières lignes (« C’est au printemps 1926 que je démissionnai. Dans les jours qui suivent une telle décision, on se sent comme au sortir de l’hôpital »).

 

Une liberté peut-être plus grande encore qu’il n’y paraît : et si tous les chatoiements et le brio de surface n’étaient là que pour laisser pointer de temps à autre des thématiques plus discrètes ?... À propos de ses jeunes élèves, le North professeur de tennis affirme sur un ton péremptoire, on se demande bien pourquoi : « Je ne ressentais nul désir de caresser tous ces enfants ». Mais il avoue être fort sensible au charme des très jeunes filles qu’il invite à manger des glaces au chocolat — « Elle (…) glissa sa main dans la mienne, cela en pleine Bellevue Avenue, étonnant jusqu’aux chevaux, choquant les vieilles dames à bord de leurs phaétons électriques ». La société que peint Thornton Wilder est pleine de scandales et de secrets plus ou moins honteux qu’il déplie pour nous au grand jour. Mais son livre, sous une apparente transparence, est semé de trompe-l’œil et de chausse-trappes. Pour celui qui reste surtout connu pour son théâtre, c’était une belle sortie de scène.

 

P. A.

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G
Bien contente de vous retrouver en pleine forme littéraire pour notre plus grand plaisir de lecture
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