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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

La Nuit en vérité, Véronique Olmi (Albin Michel)

La Nuit en vérité, Véronique Olmi (Albin Michel)  Liouba, qui a « encore dans les vingt », vit seule avec son fils Enzo, qui a dans les douze ou treize. Tous deux sont logés dans un bel appartement du premier arrondissement, qu'elle est chargée de garder impeccable pour l'arrivée toujours inopinée de Monsieur et Madame, lesquels sillonnent le monde. Elle apprend tant bien que mal à être une mère, il essaye comme il peut d'apprendre qui il est, en fréquentant le collège privilégié du coin, où ses petits camarades le persécutent pour son surpoids et sa situation sociale peu reluisante. Tout cela est instructif à plus d'un titre.

 

Et d'abord parce que ce n'est pas complètement un mélo. Pourtant le risque était grand, voir ci-dessus. Mais le roman de Véronique Olmi prouve une fois de plus que le sujet n'est rien tandis que le style peut être tout. Si la navrante histoire de Liouba et d'Enzo échappe en grande partie à l'orgie lacrymale, c'est en effet d'abord grâce à la phrase, rapide, nerveuse, alternativement brève ou juxtaposant les courtes propositions en rafales. Ce genre d'écriture  déjoue naturellement l'attendrissement et se prête à l'humour : « Il avait eu beau se renifler de partout, il n'avait pas trouvé de quoi se détourner en sentant sa peau, et s'il dégageait une puanteur, alors il était comme ces fermiers qui supportent l'odeur du crottin, ces poissonniers qui se fichent de sentir le maquereau, il avait intégré sa senteur, et il devait se résoudre à cette tragédie : ignorer ce qu'il sentait ». Enzo ne sait pas ce qu'il sent, mais les autres ne peuvent pas le sentir. Il ne sait pas pourquoi, se demande : « De quoi est-ce que j'ai l'air ? », « et cela sans se regarder dans la glace, mais en se palpant quand il [est] allongé, car pens[e-t-]il, c'est ainsi qu'il se ressembl[e] le plus, étalé, à terre ». Une bonne partie de La Nuit en vérité est faite de ces perplexités, de ces réflexions, des incidents minuscules qui font la vie de ce gros garçon et de sa drôle de mère, un couple qui n'est pas sans rappeler l'Iduzza et l'Useppe d'Elsa Morante — venant de quelqu'un qui tient La Storia pour un des grands romans du vingtième siècle, l'éloge n'est pas mince.

 

Seulement les meilleures choses n'ont qu'un temps. Il faut dire aussi que tenir 309 pages sur la seule force de l'écriture, c'est difficile. Pourquoi 309 pages me direz-vous, et je vous répondrai c'est la question que je me pose. Je ne m'explique pas l'étrange manie qui, de plus en plus, pousse nos auteurs vers le pavé. Serait-ce un argument de vente ? Ou bien est-ce que c'est pour imiter le groromanaméricain ? Toujours est-il que les deux tiers des romans français qui paraissent pourraient à mon avis être amputés sans dommage d'un tiers de leurs pages. La Nuit en vérité s'inscrit clairement dans la fraction amputable, illustrant ainsi une tendance lourde.

 

D'autant plus qu'arrivée au seuil du fatal dernier tiers Véronique Olmi s'est soudain, semble-t-il, rappelé une impérieuse obligation quand on veut être tête de gondole : raconter une histoire. Et c'est la troisième raison pour laquelle son livre est (ici, tristement) exemplaire. Tant qu'il ne se passait rien et qu'Enzo et Liouba, tels deux improbables funambules, jonglaient sur le fil du roman avec leurs questions et leurs rêves, le livre avait la poésie et la grâce des illusions qui sonnent vrai. Hélas l'auteur a eu le tort d'écouter les désirs qu'elle prête à son héros et sans doute aussi à son lecteur : « Il voulait des souvenirs, des explications et des photos, il voulait le roman d'une famille, il voulait qu'on lui raconte cette histoire-là pour s'endormir ». Il sera servi, quant à l'histoire et quant aux effets qu'il lui prête. Passe encore pour le fantastique, lequel sort soudain des recoins où l'imagination enfantine l'avait seulement esquissé, pour débarquer dans la chambre du pauvre Enzo avec les lourds brodequins d'un soldat mort au Chemin des Dames et revenu hanter son ancien domicile. Mais que vient faire là la guerre de 14, justement ? Est-ce qu'avec les commémorations qui approchent en parler va décidément devenir une obligation ? Un argument de vente ? Le pire advient quand une fugue conduit Enzo parmi de braves jeunes gens qui « viv[ent] ensemble dans des fermes communautaires, [sont] postiers, musiciens, buralistes, mang[ent] bio et élèv[ent] des poules ». En quittant l'appartement magique et son quartier le roman tourne définitivement le dos à la belle construction imaginaire qu'il était au départ. On subit avec une consternation à peine émoussée par l'ennui le tombereau de clichés et de bons sentiments qui ensevelit sur le tard des personnages qui ne méritaient pas ça. L'écriture, obsédée par son désir de raconter, s'essouffle et ne suffit plus à les sauver. Triste fin.

 

P. A.

 

photo http-_p9.storage.canalblog.com

 

Ce texte a paru une première fois le 7 octobre 2013 sur le site du Salon littéraire

 

 

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