Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
J’ai déjà eu l'occasion de citer Les Moments littéraires, revue qui, sous la direction de Gilbert Moreau, explore depuis des années toutes les facettes de « l’écrit intime ».
Le copieux numéro 43 de ce mois de janvier est consacré aux diaristes suisses de langue française. Pourquoi suisses ? D’abord à cause d’Amiel (1821-1881), professeur à l’université de Genève, qui, en tant que figure fondatrice et tutélaire, ouvre le volume, intitulé d’ailleurs Amiel & Co. Peut-être aussi parce que, comme le souligne Jean-François Duval dans son introduction, elle-même en forme de journal, « ce sont les pays protestants qui ont lancé le mouvement » du journal intime, en Europe, au XIXe siècle.
Cela étant, qu’est-ce qu’un journal intime ? Ou, comme le demande ce même Duval, « de qui tient-on le journal ? », dès lors que « "Je" est multiple, éclaté, contient des multitudes » ?… Aussi bien les premières lignes du premier extrait (Amiel, donc) annoncent-elles, on peut le dire, la couleur :
« (10 heures matin) Succession féerique de coups de soleil, d’ondées, de brouillards. On dirait des orages d’opéra, et des colères de père qui badine. »
Les caprices du temps qu’il fait symbolisent ici le caractère hybride et divers du journal en tant que genre comme du sujet qui le tient. Ce qui se vérifiera dans les pages de l’anthologie qui va suivre, où l’on trouve des extraits qui tiennent du journal de voyage, d’autres consacrés à la nature, à la vie quotidienne, aux soucis de l’écrivain, et même quelques pages d’un journal… photographique, celui que René Groebli publia en 1954 sous le titre de L’Œil de l’amour.
En même temps, ce numéro est l’occasion de découvrir un panorama de la littérature suisse romande, du XIXe jusqu’aux premières années du XXIe siècle. À côté de célébrités comme Roland Jaccard, Ramuz, Monique Saint-Hélier ou Gustave Roud (peut-être les plus belles pages du volume), on trouve beaucoup d’autres figures, souvent moins connues du public français. Tel l’étonnant Jean-Pierre Rochat, paysan et écrivain, auquel on laissera la parole pour conclure :
« Lundi 5 novembre 2018
J’ai chargé vingt-deux chèvres pour la boucherie et ça me fend le cœur, elles sont toutes nées ici dans cette ferme de montagne que je vais quitter dans deux mois après quarante-cinq ans de loyaux services pour une alimentation saine.
Après avoir chargé les vingt-deux chèvres pour la boucherie et serré la main du boucher, je suis remonté sous le toit dans ma mansarde à livres (que je dois bientôt débarrasser, et on ne peut pas faire des saucisses avec des livres) pour me remettre de m’être laissé fendre le cœur ».
P. A.
N. B.
Les Moments littéraires publient en même temps un hors-série consacré à la correspondance entre Henri-Frédéric Amiel et son amie Élisa Guédin.