Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Il y a quand même des choses qui laissent perplexe… Les romans biographiques, je l’ai déjà noté, sont de moins en moins romans et de plus en plus biographies, ou plutôt compilations de biographies préexistantes. Bien. Mais, alors, quelle différence entre ces romans et ces biographies ? Question qui, par nos temps troublés, n’est peut-être pas la plus urgente à résoudre, j’avoue pourtant qu’elle me tracasse. On a parfois de ces tracas…
Un cas intéressant nous est fourni par Corinne Desarzens, romancière franco-suisse qui n’en est pas à ses débuts, et qui publie, à La Baconnière, maison helvétique excellente par ailleurs, Un Noël avec Winston. Churchill, on l’aura compris. Pourquoi Churchill ? On ne sait pas. Mais pourquoi pas ? Je suis un peu partagé quant à moi devant le personnage, évidemment considérable, entre l’admiration pour l’ennemi du nazisme et une certaine réticence face au fanatique de l’Empire. L’un pouvait-il, dans son cas, aller sans l’autre ? Ce n’est pas moi qui en déciderai. Corinne Desarzens non plus. « Mille biographes », c’est elle qui le dit, se sont déjà attachés à son sujet. Et son propre ouvrage tourne presque, honnêtement, au livre sur les livres sur Churchill (celui de Nicholas Shakespeare est « tellement bien qu’une seule page suffit à refuser, sans regret, n’importe quelle invitation dans le monde pour lui donner la priorité »).
Ce livre-ci « tourne le dos », dit la quatrième de couverture, « à la biographie linéaire ». Quoiqu’il débute à la naissance, s’achève à la mort et suive entre les deux le cours des années, la Seconde Guerre mondiale, partie, c’est sûr, la moins connue de la vie du héros, occupant à elle seule la moitié du volume…
En quoi celui-ci, pour revenir à notre question initiale, reste-t-il un roman biographique ? Eh bien, d’abord, c’est une biographie sans les notes. Sans la rigueur, donc. Mais aussi sans l’épaisseur, et plaisamment lisible par les personnes pressées. Ensuite, c’est une biographie, plutôt que style genre, genre style. Il y a de belles images : un bâtiment pourvu d’un « renflement central » qui est à la fois un « sein unique et bombé » et un « coup d’estomac repoussant la table » ; une blessure du meilleur goût, présentant « une tartine de substance brillante, des grumeaux de sucre candi ». Il y a aussi un peu d’autobiographie, et l’on apprend que la tante de l’auteure faisait, à Noël, de très bons « bricelets », qui sont des biscuits suisses. Car le fil rouge Noël, sans qu’on sache, là non plus, très bien pourquoi, revient régulièrement à la surface.
Et puis il y a des anecdotes, des tas d’anecdotes, fort instructives, et tellement plus passionnantes que des analyses de vrais historiens. Par exemple, le saviez-vous ? Winston savait très bien découper la dinde.
Tout cela n’est pas déplaisant, pourquoi le serait-ce ? Avec La Ballade de Pattie, George et Eric, de Jérôme Attal (Le mot et le reste), on s’amuse cependant, il faut l’avouer, davantage, en grande partie parce qu’on voit déjà mieux quel peut être l’intérêt de l’entreprise. On est toujours en Grande-Bretagne, mais ce n’est plus la même Grande-Bretagne. George, c’est George Harrison – oui, le Beatles. Pattie, c’est Pattie Boyd, sa femme. Eric… c’est Clapton, évidemment, ami du premier mais amoureux de la seconde, pour qui il écrivit la chanson Layla, inspirée de l’histoire bien connue de Mejnoun et Leïla (1).
Enfance et adolescence des trois héros, rencontre, amitié, trahison. Souffrances, rivalité, duel final (musical, chacun sa guitare). Le tout sur fond de pop, de rock, de sitar indien, de substances illicites, d’époque (« Notre génération est sortie du brouillard, c’est une nouvelle ère »), de ville (beau portrait de Londres en cité où tout se passe).
Ah, bien sûr, c’est moins subtil que, chez le même éditeur, Et les Beatles montèrent au ciel, dont j’ai parlé à la parution (2019) (2). Valentine del Moral y mettait à distance et y interrogeait sa propre fascination, grâce à la médiation d’un film, qui constituait son premier matériau. Ici, la fascination n’est pas très interrogée. Elle est assumée, ce qui au fond est sympathique, et l’auteur ne cache pas à quel point l’envoûtent ces gens pour qui seule une guitare est « le moyen de [s’] accorder au monde ».
Envoûtement qui se traduit par une comparaison martelée du début à la fin du livre, dont elle constitue la principale, voire la seule thèse : « C’est une histoire de troubadours. De chevaliers des temps modernes ». « Les guitares ont remplacé les épées », les Beatles « portent leur costume tels [sic] des [sic] cottes d’armes », le « philtre d’amour » est la chanson qu’on dédie à sa bien-aimée.
Jérôme Attal se fait le troubadour des troubadours. Et, là aussi, il y a du style ! Des questions « qui restent comme des échardes dans l’acte de création » ; une cabine téléphonique « telle une bouche maquillée de vermillon dans la nuit » ; « la commissure des tilleuls », « les lanières du saule pleureur »… C’est beau. Parfois un peu acrobatique, peut-être. Comme ces essuie-glaces comparés à « des ouvriers d’usines de pots de cheminée dépassés par des cadences infernales », ou cette énigmatique « mélancolie percée comme une jarre ». Mais, bon, il y a un certain enthousiasme. On fermera les yeux sur les fautes de français.
Et on restera perplexe comme avant.
P. A.
(1) Pour le voir et l’entendre l’interpréter, cliquer ici
(2) Voir ici