Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
« Mon autofiction, c’est la natation ; mon loisir, Meetic ». Ainsi parle la narratrice de Véronique Pittolo, et, d’abord, on se laisse séduire par le programme ainsi annoncé. Déjà, il y a les cinquante ans largement passés de ladite narratrice, laquelle continue cependant, comme ce pourrait être le cas dans la vraie vie, de séduire et d’être séduite, voilà qui nous change. Ensuite, il y a le refus du romanesque, dans un récit réduit à des faits minuscules : « Ma semaine s’organise en promenades, rangement, piscine, tchats sur des sites de rencontre ». « La natation remplace une psychanalyse, qui (…) coûterait beaucoup plus cher ». Les sites, les rencontres, les ébats qui s’ensuivent tiennent de l’addiction joyeusement assumée. Sur un ton mêlant crudité, provocation dans l’affichage ostentatoire du rien, cynisme ironique — quoique, parfois, on hésite : quand cette fidèle de Mediapart et des manifs regrette l’époque où « la Riviera était colonisée par une population d’Américains raffinés », ne devrait-on pas, par hasard, la prendre au sérieux ?...
« Je coupe, je coupe… »
Quoi qu’il en soit, il y a, aussi et avant tout, une écriture. « Je coupe, je coupe tout le temps », dit-elle en parlant de ses conversations avec Norbert, qui représentent une grande partie du texte. Mais c’est bien un credo résolument paratactique qui s’énonce, et qu’on voit confirmé partout (« Les touristes affluent, nous observons les canards devant le bassin des embarcations enfantines »). Comme s’offrent partout les associations sonores et autres jeux de langage : « Nous nous sommes rencontrés sur Meetic. Puis on est devenus des amis nautiques » ; « Il m’achète un œuf vibrant et un godemiché à crochets ».
Tout cela est bien réjouissant, et on se croit un temps dans ce type de « romans » modernes qui tirent plutôt du côté de la satire, quelque chose comme Quitter Paris, (Rivages, 2020, voir ici). Seulement, le méli-mélo apparemment sans arrière-plan de Stéphanie Arc finissait par composer une manière de récit, porté par des personnages juste assez dessinés pour permettre d’apprécier ce qui les séparait de véritables héros de roman. Véronique Pittolo mentionne beaucoup d’écrivains, dont deux retiennent plus particulièrement l’attention. L’un, c’est Flaubert. Ni plus ni moins. Elle le loue pour son style « simple ». Tout en s’en réclamant sans doute comme de celui qui remit le sujet de roman à sa vraie place (secondaire). Sauf que c’est comme pour le style, pas si « simple », en fait. Il n’y a ni beaux ni vilains sujets, certes ; mais parce que tous les sujets peuvent devenir intéressants. Encore faut-il les rendre tels.
Comptoir
Le problème, ce sont les dialogues, dont l’auteure est visiblement satisfaite, et qu’elle signale par une différence typographique tellement plus chic que ces vieux tirets et autres guillemets ringards. Sur quoi portent-elles, ces conversations avec Norbert, à la piscine ou ailleurs ? Sur le sexe, bien sûr, mais aussi sur la retraite qui approche, les migrants, les hommes et les femmes, les inégalités sociales et « les dividendes des actionnaires »… Ça amuse, au début. Puis on en vient à se demander ce qu’on est venu faire au Café du Commerce. Et finit par se produire un phénomène bien fâcheux pour qui se pique de modernité : le divorce entre forme (inventive) et fond (trivial). La continuité qui rendrait l’un et l’autre indiscernables et constituerait le cœur d’une entreprise authentiquement littéraire fait défaut.
L’autre grande référence de Véronique Pittolo, c’est Houellebecq, mentionné à plusieurs reprises, et jusque sur la quatrième de couverture, où le livre s’annonce comme « une réponse féminine et féministe aux Houellebecq de tous bords ». Pourquoi pas. Quoique, à mon avis, un seul Houellebecq, ce soit plus qu’assez sans qu’il faille nous imposer en plus son double, même antithétique et féminin… Mais, de toute façon, ce duel Pittolo-Houellebecq, c’est une affaire entre elle et lui. Tous deux ont peut-être des comptes à régler. Quant à nous…
P. A.