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C'est donc reparti, comme on dit couramment… La tournée des grands hommes. Hugo Boris nous en met même trois pour le prix d'un : Danton, Hugo (Victor) et Churchill. Drôle de choix. Le fil conducteur par lequel (Hugo) Boris s'efforce de relier ses Trois grands fauves, c'est le rapport à la mort. L'un, Danton, a cru se prémunir contre elle en s'exposant dès son plus jeune âge aux plus grands dangers ; l'autre, Hugo, la tient interminablement à distance en dévorant à la manière d'un ogre ses propres enfants ; le troisième, Churchill, l'ignore puisqu'il est « déjà mort », tué dès l'adolescence par le mépris d'un père adoré.
Admettons… L'écriture de Boris a la nervosité et l'énergie qu'un sujet pareil semble exiger. Il sait composer de ces morceaux qu'on dit de bravoure : la charrette de Danton ; les tables tournantes du proscrit de Guernesey ; un beau récit de bataille napoléonienne qui, dans un enchaînement assez virtuose, se fige pour redevenir l'affrontement des soldats de plomb que le petit Winston dispose sur les planchers du château ancestral. Et même s'il y a dans tout cela un peu trop de virtuosité, justement, un goût un peu trop marqué de l'effet, même si tout est un peu trop dit, trop apparent, si les effets de reprise et de parallélisme entre les trois récits sont un peu laborieux, ce n'est pas le plus grave.
Le malaise qu'on éprouve à lire Trois grands fauves vient d'ailleurs — et pas seulement de l'accablement devant un titre calamiteux. Danton galvanise la Convention mais c'est « pour se désennuyer » et en raison de son « incurable avidité à paraître ». Churchill cherche avant tout à « marcher dans les pas de son père », « son besoin illimité d'affection ne sera jamais rassasié ». Hugo paraît consacrer l'essentiel de son temps à boire, manger et « baiser » les « femmes de peine » et autres « chambrières », obsédé par le souci de sa propre « vigueur ». Toute dimension historique, politique ou purement littéraire est repoussée à l'arrière-plan et cet usage systématique du plus gros bout de la lorgnette finit par lasser un petit peu. Car le narrateur hésite entre deux visions de ses « trois prédateurs » : ce sont au fond de simples hommes, mus par leurs angoisses, leurs fantasmes et leurs soucis œdipiens, comme nous ; ou bien ce sont des monstres, poussés à l'extrême par leurs angoisses, leurs fantasmes, leurs problèmes avec l'image du père, toujours comme nous, quoique en exagéré. Outre que cette vision des choses manque un peu d'originalité elle n'est, il faut bien le dire, pas très intéressante. Sans compter qu'elle mène à d'inquiétants glissements — Churchill et Hitler devenant, au détour d'une phrase, « deux animaux du même sang ». Je n'ai pas un culte particulier pour les grands personnages, mais j'ai la faiblesse de croire que tout le monde n'est pas comme tout le monde, et ce qui m'intéresserait ce serait qu'on me parle du côté par lequel certaines gens ne sont pas comme moi. Même s'il serait moins confortable, moins rassurant d'être confronté à la différence qu'au même. Quel pourrait être en effet l'intérêt d'un livre comme Trois grands fauves, au-delà du simple savoir-faire ? Démontrer au lecteur qu'après tout, ouf, ces gens-là ressemblent à tout le monde…? C'est un peu mince. Et même, comment dire… Petit ?
P. A.
Ce texte est paru une première fois le 14 août sur le site du Salon littéraire.