Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
La vie est pleine de surprises. Ce matin, je découvre sur ce blog un commentaire portant sur mon récent entretien avec Nora Sandor. Une lectrice m’y pose tout de go la question : Nora Sandor existe-t-elle ? Perplexe, je m’informe, tombe, comme dans un roman de Nora Sandor, sur une vidéo postée sur YouTube (pour la voir, cliquez ici).
Comme elle dure 27 minutes 30, je vous la résume à gros traits. Sam Voros, « écrivain et prof de français » (La Lumière et la nuit, L’Harmattan, 2014), y parle de Licorne, citant, au passage, élogieusement et aimablement, mon propre article. Mais sa lecture du roman de Nora Sandor l’a conduit à des conclusions auxquelles, pour ma part, je n’aurais pas pensé : Licorne serait peut-être de Michel Houellebecq, rien de moins, tentant de renouveler l’exploit de Romain Gary en son temps : avoir deux fois le prix Goncourt.
Elle s'est fait photographier de dos, encore un indice...
À cette hypothèse audacieuse, je pourrais, quant à moi, répondre que j’ai vu Nora, que je lui ai parlé. Mais « ça ne prouve rien », me répondrait Sam, évoquant Ajar. Disons donc plutôt un mot de ses arguments…
Licorne serait un livre « si profond, si travaillé », qu’on aurait peine à croire qu’il est la première œuvre d’une auteure de 31 ans. Bel hommage, que l’intéressée saura apprécier.
Le « silence des médias à propos d’un livre si exceptionnel » serait également louche. Sympathique naïveté, qui conduit notre commentateur à contredire lui-même au passage sa théorie du deuxième Goncourt.
Et puis, il y aurait tous les thèmes houellebecquiens. Le corps, par exemple, ou la banlieue… Motifs, il est vrai, assez peu partagés pour justifier tous les soupçons. Pour ce qui est de l’écriture aussi, Sandor reproduirait tous les tics de Michel. Comme « la pirouette ironique » en fin de phrase (pourtant Flaubert, Proust, Vialatte ?...) ou « le grossissement burlesque » (tant d’autres ?...).
Le personnage de Maëla achève de convaincre notre soupçonneux critique : l’héroïne de Licorne sortirait en effet tout droit d’un roman de l’auteur favori de Laurent Wauquiez. Car qui est Maëla ? « Une idiote », bien à sa place dans un livre qui proposerait une « image dévalorisée de la femme ».
Là, j’avoue, je reste rêveur… Ou j’ai lu vraiment très distraitement un ouvrage que son auteure elle-même (voir ses propres propos) aurait écrit en pensant à autre chose, ou alors Voros se fourvoie. Si l’auteur des Particules élémentaires a inventé quelque chose, il me semble que c’est l’alliage d’une complaisance systématique pour les aspects les moins séduisants de l’existence et d’une écriture tendance kiosque de gare chic — montage de clichés stylistiques, ponctué de préciosités souvent fautives, pour faire littéraire. On est très loin de Licorne, de son subtil équilibre entre ironie et lyrisme contenu, de la tendresse dont son auteure fait preuve pour les personnages « moyens » qui lui importent.
Quelle morale tirer de cette petite histoire ? Illustre-t-elle simplement la fascination que beaucoup partagent pour un écrivain qui sait y faire ? Faut-il incriminer le célèbre complotisme ? Évoquer les effets malheureux d’un défaut d’oreille ?... Sam Voros semble trop fin et trop cultivé pour qu’on lui attribue semblables travers. Alors ?...
Alors peu importe : lui et moi arrivons à la même conclusion : lisez Licorne. Vous verrez bien.
P. A.