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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

L’Audition du docteur Fernando Gasparri, Giuseppe Santoliquido (Espace Nord)

art.moderne.utl13.frJ’ai déjà eu l’occasion de parler de la collection Espace Nord, gérée par Les Impressions nouvelles et consacrée au patrimoine littéraire belge francophone. Le roman de Dominique Rolin, L'Enragé, dont j’avais dit tout le bien qu’il mérite, était reparu sous ses auspices. Ici, il s’agit d’un titre plus récent, puisque le livre de Giuseppe Santoliquido a été publié une première fois en 2011. Il se déroule en 1932. Le docteur du titre est un médecin d’origine italienne, immigré dans l’enfance et installé à Bruxelles. Son « audition », dont on ne comprendra le sens qu’en partie et tout à la fin, est répartie sur cinq « journées ».

 

Gasparri est veuf. Il va tous les dimanches, au cimetière, s’entretenir avec son « petit ange ». Il a aussi une sœur handicapée, on n’en saura pas plus. Médecin, catholique, apolitique et pour tout dire d’une ignorance, en ce domaine, peu croyable, il essaie, dit-il, « de mettre en pratique les conseils d’Hippocrate et de l’Église apostolique catholique et romaine ». Seulement, « depuis la mort de Louisa, un certain nombre de questions lui trott[ent] dans la tête ». Sa rencontre avec le couple Guareschi, fraîchement arrivé d’un village italien voisin du sien, le précipitera dans un enchaînement de circonstances qui vont le contraindre à approfondir ses réflexions au contact des antifascistes en exil et de la misère ouvrière. En un mot, notre homme découvre la réalité qui l’entoure, et dont le roman dresse un tableau très documenté, digne du politologue qu’est aussi son auteur : retombées de la crise de 1929, grèves dans le Hainaut, montée des périls en Italie et en Allemagne…

 

Peinture, cinéma et mouchoirs en papier

 

Drôle de petit livre, dont les faiblesses en définitive font la force. Ainsi, l’extrême lenteur de la narration et l’excessive minutie apportée au moindre détail pourraient, à l’image de son personnage principal, lui donner un petit côté vieillot. Mais elles contribuent à installer une atmosphère d’étrangeté presque inquiétante. Aller jusqu’à parler, comme Joseph Duhamel dans la postface, de « réalisme magique », c’est un peu exagéré. Cependant, il est vrai que les paysages urbains « miroit[ant] de chaleur » ou sur lesquels « le ciel n’[est] plus qu’un long nuage gris qu’illumin[ent] par intermittence des éclairs sans tonnerre » flirtent parfois avec un onirisme qui n’est pas très loin de Chirico.

 

Autres exemple, les mouchoirs en papier, les nombreuses « douches », prises dans les multiples « salles de bains », sont peu crédibles en 1932 ; cependant elles ont pour effet d’adoucir le côté cinéma rétro italien (« Le docteur Desforgues l’attendait à l’extrémité du quai, assis sur un banc, fumant un cigare. Il portait un costume de lin clair et un panama couleur ocre »).

 

Enfin, on est d’abord un peu surpris, dans ce livre que plusieurs prix vinrent couronner, des fautes de français qui criblent le texte. Passons sur les « il les observa s’éloigner », les « suite à cette affaire », les « bien que » suivis de l’indicatif, enfin le tout-venant. Mais que dire de ce « regard crispé », de ce « visage flanqué d’une barbichette » ou, plus pittoresque encore, de ce « lorsqu’il reprit de parler… » ? Pourtant, rien de tout cela n’a choqué personne, et la seule conclusion possible est bien sûr que c’est fait exprès… On dira donc que ces trouvailles prêtent au texte une forme de naïveté qui convient bien au personnage.

 

Pirandello et les curés

 

Il est sympathique, le docteur Gasparri, lequel, pour s’acquitter « d’une dette qu’[il] n’[a] pas contractée mais dont le poids pèse aussi sur [ses] épaules », va s’embarquer « dans une histoire qui n’est pas vraiment la [s]ienne mais dans laquelle [il a] tout de même un rôle à jouer ». On pourrait croire que cette histoire est celle, linéaire, d’une pure prise de conscience. D’autant que Gasparri est un grand lecteur de Feu Mathias Pascal, de Pirandello, dont le héros, cru mort, en profite pour renaître sous une autre identité. Et que les curés que Fernando va écouter tous les dimanches aiment à prêcher sur la résurrection de Lazare ou sur l’aveugle auquel le Christ rendit la vue…

 

Toutefois notre héros relit aussi, du même Pirandello, une nouvelle qui semble dire qu’il n’est pas en ce monde de vérité définitive. Et les prêtres qui lui sont chers défendent des conceptions divergentes de la foi : pour les uns, elle doit reposer sur le discernement, pour les autres, sur le cœur. Tout cela ne peut mener qu’à l’issue ouverte à laquelle préparait au fond dès le début le procédé narratif choisi par Santoliquido : car, dans cette « audition », c’est Gasparri qui parle, mais ses propos sont transcrits au style indirect (par qui ?) sans qu’aucune narration extérieure vienne les encadrer pour leur donner une signification indiscutable. Le dispositif, outre qu’il neutralise tout ce qui pourrait être de l’ordre de l’émotion immédiate, fait de ce faux roman engagé une méditation ouverte sur la foi, l’action, l’engagement lui-même. Et contribue, en fin de compte, à plonger le lecteur dans le trouble et l’inconfort qui sont la marque des vraies œuvres.

 

P. A.

 

Illustration : Giorgio de Chirico, Souvenir d'Italie (1970)

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