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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Haute tension à Palmetto, Erskine Caldwell, traduit de l’anglais par Yves Berger (Belfond [Vintage])

perlbal.hi-pi.com/blog-imagesJ’ai déjà maintes fois fait l’éloge de l’excellente collection [Vintage], chez Belfond (voir par exemple ici ou ). Au mois de novembre, elle a inscrit à son catalogue la réédition d’un roman d’Erskine Caldwell paru en 1951 (et, pour la traduction française, en 1979). On aurait tort de passer à côté de ce qui apparaît une fois de plus comme une redécouverte. L’auteur de La Route au tabac, on s’en rendra compte à cette occasion, mérite mieux que son image d’écrivain un peu daté qui a souffert de la comparaison avec Faulkner.

 

« … du côté des rondeurs »

 

Comme d’habitude avec lui, on est chez les « petits Blancs » du Sud des Etats-Unis. Palmetto tire son nom des « palmiers nains » qui poussent dans les environs, et le choix d’un tel arbre n’est évidemment pas dû au hasard. Dans la ville, on n’a « pratiquement jamais entendu parler de quelqu’un qui se serait montré dans un nouvel habit ou avec un nouveau chapeau sans l’avoir d’abord étrenné le dimanche à l’église », méthodiste ou baptiste, au choix. Pension de famille, vérandas, rocking-chairs, « nuit[s] d’été indien chaud[es] et humid[es] » qui donnent des idées aux hommes, on est dans l’ambiance que le théâtre de Tennessee Williams et les films qui s’en inspirent nous ont depuis longtemps rendue familière.

 

Mais une bombe va réveiller ce petit univers somnolent : la nouvelle institutrice. Ses élèves, mystère du système scolaire américain ou de la traduction française, ont quinze ou seize ans. Hélas ou tant mieux pour eux : chevelure « abondante et ondoyante », « bouche charnue et provocante », Vernona aime de surcroît porter des chandails « confortables et féminins », c’est-à-dire susceptibles de mettre en valeur une poitrine qui n’a rien à envier à celle de Jane Russell. Effet immédiat et systématique : élèves (fille autant que garçon), directeur de l’école, fermier, homme politique, conseiller agricole, personne n’échappe au charme de cette « très belle fille, drôlement à la hauteur du côté des rondeurs » comme le lui déclare avec galanterie un de ses soupirants. Les épouses, on s’en doute, sont moins enthousiastes. « Vous donnez à entendre aux hommes que vous les mettez au défi d’avoir de l’audace, et je n’ai encore jamais vu un homme capable de refuser d’examiner les chances de succès », dit l’une d’elles à la pulpeuse créature. Et une autre, à son mari, lors d’une scène de ménage d’anthologie : « Si tu m’aimais, tu ne devrais pas (…) passer tout ton temps à faire des yeux de merlan frit pendant que cette chose éhontée, de l’autre côté de la table, exhibe son corps sans soutien-gorge en m’humiliant jusqu’au tréfonds de moi-même ».

 

Des aspects plus subtils

 

Caldwell tire des effets d’un comique irrésistible de cette donnée de départ toute simple et des situations de plus en plus délirantes qu’elle engendre. Au début, on pense être dans la farce, ce dont on est d’ailleurs loin de se plaindre. Cependant Haute tension à Palmetto révèle peu à peu des aspects plus subtils. Ils tiennent d’abord à l’héroïne elle-même, la fameuse Vernona. Cette ingénue possédée par le « désir d’aimer » apparaît vite lucide et prête à s’avouer sans hésiter qu’un homme est « beau dans le genre fruste et costaud » et « qu’il pourrait être intéressant de le connaître mieux, pendant un certain temps » ; voire à céder à l’ « agréable sensation d’être entièrement dominée » et « à se sentir prête à faire tout ce qu’[on] pourrait exiger d’elle ». Le roman, par son entremise, se montre lui-même d’une tranquille hardiesse en ce début des années 1950.

 

Comme au temps des Lumières

 

D’autant que si la thématique sexuelle est centrale c’est qu’elle permet de faire surgir, comme l’héroïne qui la porte, toutes les vérités enfouies. « Ce qu’il y a d’empoisonnant avec vous, Nona », dit un des personnages, « c’est que vous avez le chic pour enfumer les gens et les faire sortir du trou dans lequel ils rampent ». Comme les visiteurs étrangers du temps des Lumières, la petite institutrice aux formes généreuses fait apparaître, du simple fait d’être là, les désirs, les rancœurs, les égoïsmes, la rapacité et le malheur fondamental des uns et des autres. Et elle-même, avec l’intelligence et l’honnêteté que cachaient ses airs trop candides, d’ajouter : « Je me suis enfumée moi-même pour me faire sortir. Maintenant, tout le monde sait qui je suis vraiment ».

 

Peu à peu, une tonalité plus complexe et plus inquiétante s’insinue dans ce qui semblait au départ une satire sans prétention. Jusqu’au basculement final, parfait dans sa brutalité, qui plonge le roman dans une forme de tragique mêlé d’amertume résignée. C’était donc là qu’Erskine Caldwell voulait nous conduire après nous avoir appâtés avec d’aimables gaudrioles… Une belle petite machine infernale, décidément.

 

P. A.

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