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C’est assez curieux le plaisir qu’on prend à lire Le Ravissement de Britney Spears, de Jean Rolin. Comment peut-on prendre plaisir à écouter narrer les faits et gestes de Britney Spears, Lindsay Lohan, Rihanna ou Lady Gaga tels que rapportés par la presse spécialisée de Los Angeles. Pour ma part j’ignorais même totalement qui étaient ces personnes avant de lire le roman de J. Rolin. Ça ne m’intéresse toujours pas de le savoir, d’ailleurs.
Et cependant on est ravi par le roman de Jean Rolin. Au sens strict : captif comme d’un charme. Le plaisir qu’on éprouve à le lire est de l’ordre de la fascination. Au sens étymologique, pardon de jouer les pédants : comme victime du mauvais œil. Le roman de Rolin est un livre sur le regard. Il y a vers le début du livre un épisode qui pourrait tenir lieu de mode d’emploi : un paparazzi y est la proie d’ « un ravissement que rien [ne pourrait] altérer, pas même l’annonce du décès soudain de sa mère », car il a pu faire de Britney S. descendant de voiture une photo prouvant que « ce jour-là, comme beaucoup d’autres, Britney, par distraction, par vice… [est] sortie de chez elle sans culotte ». Les passants sont priés de se pencher sur le cliché pour distinguer la preuve, « manifeste — et cependant quasi subliminale ».
Nous sommes tous ce paparazzi ou ces passants, bien sûr. Nous sommes tous des agents secrets, comme le héros du roman de Rolin, sommés de fixer, depuis la pénombre de l’anonymat, des images, et d’y chercher la faille qui, en semblant les rapprocher de nous, accroîtrait encore notre dépendance vis-à-vis d’elles. Images de gens, de lieux. Britney et ses consœurs ne sont bien sûr que le plus parfait exemple en la matière, quasiment innocent dans sa frivolité radicale. En faisant alterner Beverly Hills et le Tadjikistan, les starlettes et les terroristes, Rolin démontre que l’objet de notre voyeurisme importe peu.
Ce voyeurisme socialement programmé, il l’expose et le dénonce dans le même geste. C’est qu’ici il s’agit d’un voyeurisme de mots. De noms propres, essentiellement. Château Marmont Sunset Mulholland Santa Monica, chaque page du roman déroule son chapelet au fil des déambulations d’un héros qui, dans la ville de la voiture, ne se déplace qu’à pied ou en autobus. La lenteur inévitable de ces errances, le caractère obsessionnel de ces noms ressassés (Britney, Lindsay, Wendy…) installent le lecteur dans une espèce de sidération ironique, le retour incessant des mots rendant évidente la vacuité des choses. Je crois avoir lu quelque part que ce roman avançait « à cent à l’heure », je trouve ça fort d’arriver à écrire des choses pareilles à propos d’un livre d’une immobilité aussi durassienne. La syntaxe impeccable de Rolin, son usage rigoureux de la virgule, contribuent à cette impression de sur-place.
Et en plus, c’est drôle. S’agissant d’un livre d’une certaine manière aussi abstrait ce dernier point mérite qu’on le souligne. Que l’abstraction du dispositif suscite une telle jubilation à la lecture est pour beaucoup dans le curieux plaisir qu’on prend à lire le roman de Jean Rolin.
P. A.