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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

L’Eau qui dort, Hélène Gestern (Arléa)

photo Pierre AhnneÇa commence comme un roman de Simenon. Les plus anciens lecteurs de ce blog le savent, quel que soit mon goût pour les buffets de gare où un homme en imperméable mastic rumine seul devant un demi, je ne partage pas l’engouement dont l’écrivain belge est l’objet (voir ici). Cependant, quelque chose m’a poussé à ne pas abandonner l’histoire de ce représentant de commerce brutalement licencié, qui, s’étant réveillé un matin avec une crise d’herpès, fuit l’enfer conjugal pour un hôtel médiocre dans une petite ville de province.

 

L’eau qui dore

 

J’ai bien fait. Car à Simenon succède bien vite Modiano. Benoît (qui s’appellera bientôt Martin) croit reconnaître Irina, grand amour de jeunesse et artiste peintre prometteuse, disparue un beau jour après une nuit pourtant spécialement brûlante. Mais est-ce bien elle ? Désireux de rester dans la région pour en avoir le cœur net, notre homme, horticulteur contrarié jadis par un père tyrannique, trouve refuge au domaine du Précy, où madame Hingrée a fait naître un parc somptueux et très visité. Le fugitif y intègre l’équipe de jardiniers, composée de gens visiblement tout aussi égarés qu’il l’est lui-même. Il y a du mystère dans l’air. D’ailleurs, on trouve bientôt un sac de lingots d’or caché dans une fontaine (c’est l’eau qui dore). Avec ce trésor remonte à la surface une affaire de chantage et de mort suspecte. Enquête. Benoît-Martin est dans le collimateur.

 

Aussi, quand Ada, sœur d’Irina, arrivée de leur Lituanie natale, surgit, saisit-il l’occasion de partir avec elle sur les traces de la disparue. Équipée qui les mènera jusqu’en Espagne, découvrant au passage une obscure affaire de trafic de bébés par des religieux simoniaques, et continuant leur chemin, en quête… de quoi, en fin de compte? Le but recule à mesure qu’on l’approche, la poursuite devient « absurde », le héros-narrateur constate : « Il n’y avait plus d’endroit sur terre où je puisse me dire que j’étais chez moi ».

 

On l’aura compris, ce récit ostensiblement romanesque, qui se développe lentement, par pans successifs, et qu’il faut plusieurs chapitres, quand les deux pistes principales se rejoignent, pour démêler un peu laborieusement, baigne dans une atmosphère de plus en plus étrange. Le personnage principal y est pour beaucoup, « petit Belge timoré, incapable de réussir ses partiels » quand il était jeune, mari « lâchement » envolé par la suite, qui ne cesse, du début à la fin, de se flageller avec un morose enthousiasme.

 

Ombres, fantômes et cardamine des prés

 

De ce point de vue, L’Eau qui dort est bien l’histoire d’un réveil, et d’une renaissance. À la fin, Benoît (ou Martin ?) a le sentiment d’être « redeven[u] un homme, ni salaud ni martyr, un homme ordinaire ». La nature, souvent aménagée, l’aura aidé à en arriver là. « Comme si [le] bouclier naturel avait le pouvoir de protéger du sordide de l’existence »… L’effet régénérant du contact avec les arbres, « la lumière filtrée par les frondaisons », « le souffle silencieux du vent », est un des leit-motiv de ce livre plein de « bignone », de « cardamine des prés », de « muscari » et de « liquidambars ».

 

Mais ça reste surtout une histoire de disparitions. Benoît s’est éclipsé comme l’avait fait Irina. Elle-même n’a jamais connu sa mère, volatilisée dès sa naissance. En la cherchant, Benoît croise Marianne, qu’il a aimée aussi, puis quittée. Et à peine l’a-t-il revue qu’il décide de « disparaître définitivement de son existence ». Quant à Ada, lorsqu’elle repart comme elle était venue, le narrateur commente : « La sœur d’Irina a disparu de ma vie comme elle y était entrée, silhouette svelte et fluide avalée par l’auto noire ».

 

Bref, comme le dit un des personnages, « la disparition (…) c’est comme une drogue. Tous, dans le roman d’Hélène Gestern, en sont sévèrement dépendants. Et cette manie de l’évanescence imprègne d’une gravité mélancolique son livre peuplé, à bien y regarder, de « fantômes » et d’ « ombres ». Disparaître, en effet, « n’[est]-ce pas le même verbe dont on us[e] pour dire "mourir"? »…

 

P. A.

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