Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Philippe Honoré a longtemps pratiqué le théâtre, en tant qu’auteur, metteur en scène, directeur. Il a été en particulier pendant plusieurs années responsable de la Scène du Jura. Il est aussi romancier (L’Obligation du sentiment, Arléa 2008).
C’est cependant à un autre titre qu’il répond ici à quelques questions. En effet, depuis septembre 2010, il dirige la Librairie Honoré (11, rue Albert-Thomas, 94500 Champigny-sur-Marne). Ce parcours singulier, le choix d’une profession dont parutions et prix viennent en ce moment rappeler l’importance, justifient la présence de Philippe Honoré dans la rubrique « Entretiens », dont il inaugure l’ouverture à des figures du paysage littéraire autres que les seuls auteurs.
Comment êtes-vous devenu libraire ?
D’abord, je ne le suis pas : c’est un vrai métier, contrairement à celui de directeur de théâtre, que j’ai exercé un certain temps. Libraire, j’apprends à l’être, je commence à le devenir, je ne le suis pas encore. Je suis d’ailleurs toujours étonné et admiratif devant les gens qui se lancent tout seuls dans ce domaine. En ce qui me concerne, je suis accompagné par quelqu’un qui a trente ans d’expérience dans la librairie et sans qui je n’y arriverais pas. J’ai d’ailleurs aussi engagé récemment une jeune fille tout à fait passionnée.
Pour revenir à la question, je n’avais pas vraiment l’idée au départ. J’étais professeur de théâtre au conservatoire de Champigny-sur-Marne. Là, un jour, dans une conversation avec une amie, nous en venons à parler de ce que nous aimerions faire « avant la retraite ». Et je dis, un peu par plaisanterie, que je tiendrais volontiers une petite librairie près de chez moi, dans le onzième arrondissement de Paris. Cette amie me répond que j’aurais tort d’attendre et que je ferais mieux de choisir Champigny, où il n’y a plus de librairie. Je me suis dit : pourquoi pas ?
À partir de là tout s’est enchaîné comme dans un conte de fées. J’ai obtenu les subventions indispensables, une libraire habitant Champigny venait de quitter Virgin, je l’ai rencontrée, elle a accepté de venir travailler avec moi.
Vous avez déjà en partie répondu à la deuxième question : pourquoi la banlieue, et pourquoi cette banlieue ?…
Oui, comme je vous l’ai dit, il y a eu une part de hasard : si j’imaginais quelque chose, c’était une petite librairie à Paris, axée sur la littérature et le théâtre. En fin de compte je me retrouve à diriger une librairie généraliste, qui vend beaucoup de livres pour la jeunesse, de mangas, de bandes dessinées, et à Champigny-sur-Marne. Mais il n’y a pas que le hasard non plus. Je m’étais attaché à cette ville où la population est mêlée et où la municipalité communiste fait énormément pour la culture.
Vous considérez-vous comme un commerçant ?
Oui. Même si j’ai tendance quelquefois à l’oublier…
Pour vous répondre, je vais remonter un peu loin. Depuis des années je pense que le milieu théâtral est gris, triste et sans passion. Quand j’ai publié un roman et que je suis allé dans des librairies un peu partout en France pour des signatures, j’ai rencontré des gens extraordinaires, ouverts à l’autre, passionnés. Parmi eux, le directeur d’une minuscule librairie près de Melun qui me disait en montrant sa toute petite boutique : dans cette pièce, il n’y a pas un seul livre que je n’aime pas. J’aimerais pouvoir en dire autant. Mais ce n’est pas le cas, et puis je pense qu’on ne peut pas mépriser le plaisir que prennent certains lecteurs à lire certains livres dont je ne pense pas beaucoup de bien. Je les leur vends, en leur souhaitant une bonne lecture. Dans cette mesure, je suis commerçant, ou si vous voulez chef d’entreprise. J’en viens d’ailleurs à me demander, à propos de certaines animations culturelles : est-ce que ça rapporte ?
Cherchez-vous à promouvoir plus spécialement la littérature ?
Évidemment. Ma collaboratrice et moi avons instauré un système : la table de Philippe et la table de Sophie. Ce sont des tables thématiques, où nous exposons des livres que nous avons particulièrement aimés. Cela nous permet d’en vendre beaucoup, et vendre par exemple plusieurs dizaines d’exemplaires de Si le grain ne meurt c’est le bonheur absolu. Nous pratiquons aussi le système des petits mots collés sur la couverture et signalant les ouvrages littéraires qui nous plaisent.
À première vue, votre activité actuelle paraît très différente du théâtre, qui est votre monde d’origine. Y a-t-il malgré tout un rapport ?
Le théâtre tient toujours une place importante dans ma vie : je partage en fait mon temps en deux, la librairie et le théâtre. Mais il n’y a pas de rapport entre les deux activités. Bien sûr, dès qu’on est dans des rapports humains, le théâtre n’est pas bien loin, mais à part ça…
En revanche, la librairie m’a permis de lire et de rencontrer des gens que j’adapte au théâtre, après avoir acheté les droits.
À l’heure du numérique, comment voyez-vous l’avenir du livre ?
J’ai connu un libraire qui s’apprêtait à vendre son magasin et qui m’a dit : « Je vends parce que dans cinq ans il n’y aura plus de librairies. » Pour ma part, je ne suis pas inquiet. Je pense que plus il y aura de virtuel, plus on aura besoin de conseils et de personnalisation. Je n’avais jamais lu un livre sur tablette. Je l’ai fait récemment, ce n’est pas désagréable. Et puis c’est vrai qu’on se dit : cinquante livres dans un volume de cent grammes… Mais quand on voit la beauté de certains livres pour enfants et leur succès auprès du public, on se dit que ce n’est pas demain qu’on supprimera le papier !
Vous êtes aussi auteur : votre expérience en tant que libraire pourrait-elle vous inspirer un roman ?
Non. Je pensais que tenir une librairie allait m’empêcher d’écrire, et je n’avais pas tort : lire, comme c’est mon cas, un livre tous les deux jours, voire tous les jours, c’est très inhibant. Soit on est dans l’admiration et on se dit : je ne pourrais jamais faire aussi bien, soit on est dans le dégoût, et on se dit : à quoi bon écrire quand on voit ce qui se publie ?…