Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Alain Blottière, qui partage son temps entre Paris et l’Égypte, aime à confronter dans ses romans l’Occident actuel à d’autres civilisations ou à d’autres époques, et la littérature à d’autres moyens d’expression (la peinture — Saad, Gallimard, 1980 —, le cinéma — Le Tombeau de Tommy, Gallimard, 2009…). Ce va-et-vient entre l’ici et l’ailleurs, cette ouverture au monde et à l’autre, sont sans doute ce qui caractérise le plus nettement son écriture toute de précision et de lyrisme maîtrisé.
On les retrouve dans son dernier roman : Rêveurs, qui paraîtra chez Gallimard le 6 septembre, et où se croisent les destins de deux adolescents, l’un parisien, l’autre cairote, à l’heure de la révolution égyptienne.
pour illustrer cet entretien, Alain Blottière nous a fait parvenir une photo d’un endroit du Caire qu’il évoque dans Rêveurs
Comment en êtes-vous venu à écrire ?
En lisant, je crois. C’est la lecture qui m’a amené à l’écriture. Enfant, j’étais un maniaque de lecture. Je me suis mis à écrire par esprit d’imitation : je voulais écrire de belles histoires comme celles que je lisais dans les romans d’Hector Malot, par exemple. C’est du moins ce que j’ai tenté de faire dans un « roman » commencé à dix ans.
Plus tard, à l’adolescence, j’ai été pris d’une frénésie poétique. C’est assez courant. J’ai écrit de nombreux poèmes, et quand je me suis lancé, à vingt-deux ans, dans mon premier roman, Saad, c’était en me disant que si je ne passais pas par cette étape je ne parviendrais jamais à publier mes poèmes. D’ailleurs l’écriture de ce premier livre est assez marquée par la poésie.
Comment écrivez-vous ?
Le plus souvent, couché. C’est plus facile maintenant, avec les ordinateurs portables. Ce goût pour la position allongée me vient sans doute de ma mère : elle était turque, et en rentrant de l’école à midi je la trouvais réveillée, mais encore à demi-allongée dans son lit comme sur un divan oriental. Je lui dois sans doute aussi mon côté noctambule, d’ailleurs. Quand j’ai besoin de documentation, évidemment, je suis obligé de m’asseoir à mon bureau.
Une condition indispensable est qu’il y ait le moins de lumière possible. Pour la littérature, quand je travaille le jour, je ferme les rideaux.
Bien entendu le bruit, l’agitation, doivent être proscrits. Je ne pourrais jamais écrire dans les cafés, où je serais sans cesse distrait, parce qu’intéressé, par tout ce qui se passerait autour de moi.
Écrire, est-ce pour vous un travail ?
Écrire quoi ? Tout dépend…
Quand j’écris de la littérature, non, ce n’est absolument pas un travail : c’est un jeu, un jeu compliqué, certes, qui fatigue les neurones comme le go ou les échecs, mais j’en tire beaucoup trop de plaisir et même de bonheur pour considérer ça comme un travail.
Au contraire, quand j’écris, sous pseudonyme, des livres de commande, ce qui est la façon dont je gagne ma vie, j’y passe beaucoup de temps et c’est vraiment un travail, où diverses contraintes, que je n’ai pas choisies, sont très pesantes. L’écriture d’un roman, c’est les vacances.
Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez proche ?
Quand j’ai découvert, à vingt-trois ans, François Augiéras, j’ai eu l’impression d’avoir trouvé une sorte de jumeau littéraire. J’étais alors abonné au bulletin d’information des Éditions de Minuit. Un jour ils ont annoncé la réédition du Vieillard et l’enfant. Je n’avais jamais entendu parler de ce livre ni de son auteur, mais la notice m’a fait entrer dans une librairie. J’ai eu aussitôt ce sentiment de proximité. Le côté « érotique-sacré-primitif » me convenait parfaitement. Pendant dix ou quinze ans j’ai continué à me sentir très proche d’Augiéras.
Mais par ailleurs, plutôt que des auteurs, je citerais des livres : par exemple Actes impurs, de Pasolini, les poèmes d’Une ardente solitude, de Sandro Penna, Les Vanilliers, de Georges Limbour. Cela ne veut pas dire nécessairement que j’aime les autres œuvres de ces auteurs, mais ces textes-là résonnent en moi.
Enfants, adolescents, très jeunes gens sont les personnages principaux de vos romans. L’enfance et l’adolescence sont-ils pour vous le temps d’un rapport privilégié à la réalité ?
Oui, parce qu’à ces âges-là on découvre tout, et donc on ressent tout plus intensément. Je pense que les adolescents (je parle surtout des garçons, je connais moins les filles) ont un besoin de vie intense. C’est pour ça que, d’un point de vue romanesque, ils m’intéressent beaucoup : ils ne sont jamais des êtres domptés. Même dans la vie, ce sont toujours des gens intéressants à fréquenter, pour cette raison. L’âge bête commence après.
Ce rapport particulier des adolescents à la vie est du reste ce qui fait le sujet de mon roman Rêveurs, et aussi d’ailleurs du Tombeau de Tommy, qui évoque le tournage d’un film consacré à un très jeune membre du groupe Manouchian, Thomas Elek, dont un adolescent d’aujourd’hui joue le rôle. Dans les deux cas on a un adolescent pour qui l’intensité est imposée par les circonstances historiques (Tommy, et le jeune Égyptien des Rêveurs). Face à eux, je mets en scène un de ces adolescents qui, dans nos sociétés aseptisées, vont chercher l’intensité dans le virtuel ou dans des activités mortifères, comme le jeu du foulard auquel s’adonne le héros occidental des Rêveurs.
Quand vous faites dire au narrateur du Tombeau de Tommy, justement : « …l’art n’est rien que de l’art… un reflet dérisoire des beautés, des larmes et du sang du réel », est-ce vous qui parlez ?
Oui. Je ne sacralise pas l’art, surtout pas l’art qui figure, qui représente. Je ne fais pas partie des gens qui en font une priorité. Pour moi, une émotion est toujours plus intense quand elle vient de la réalité plutôt que de sa représentation. Je trouve l’intensité dans la rue, ou dans la nature, plutôt que dans un musée ou dans un livre. C’était d’ailleurs tout à fait l’inverse quand j’étais enfant et passais des heures, pendant les vacances, enfermé dans ma chambre à lire au lieu d’aller à la plage. Mais à présent je considère que les plus belles émotions ce sont celles de la vie.
Vous êtes l’auteur de sept romans, mais aussi de plusieurs essais consacrés à l’Égypte, actuelle ou passée. Quel rapport établissez-vous entre ces deux types d’écriture ?
Je mets autant de moi-même dans l’un que dans l’autre. Quand j’ai écrit sur l’Égypte de la première moitié du XXe siècle, dont j’ai une profonde nostalgie parce que je ne l’ai pas connue, quand j’ai écrit L’Oasis (Quai Voltaire, 1992, Payot, 1994, ndlr), à propos de l’oasis égyptienne où je passe plusieurs semaines par an depuis longtemps, ce sont des projets que j’avais proposés et dans lesquels je me suis investi autant que dans mes romans. On en revient, d’une certaine manière, à la question précédente : il y a là des émotions que j’ai ressenties et que je veux rendre.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Sur rien, mais je vais commencer à écrire le texte d’un « livre d’artiste » : Jean-Pierre Thomas met en œuvre des livres, sur le thème des voyageurs urbains, qui existent en cinq exemplaires et où tout est original, ses dessins comme le court texte manuscrit par l’auteur qu’il a choisi.