Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Des Cintres (Minuit, 1993) à Sommes (Argol, 2009), Emmanuel Adely a publié chez différents éditeurs de nombreux livres, la plupart du temps inclassables. Il est aussi l'auteur de pièces radiophoniques, de films, et s'adonne parfois à des lectures-perfomances.
Son écriture, dans un constant rapport de tension et de proximité avec la parole, travaille sur le rythme, le ressassement, la ponctuation ou son absence. Elle dessine ainsi, sans souci de mode et sans discours, la place de l'individu dans sa propre histoire et dans celle que lui inspire le monde ultra-contemporain.
Ayant quitté depuis peu la capitale, Emmanuel Adely n’a pas pu répondre de vive voix à mes questions. Il l’a fait par écrit, et dans sa manière.
Comment en êtes-vous venu à écrire ?
Par méfiance de la parole orale réservée à l'intime - et avec la certitude que cette parole était trop rapide et peut-être -surtout ?- trop instable (comme on le dit d'une solution), l'écriture devenant alors mon médium de communication - je ne sais pas parler pour dire (mais pour autant je ne dis pas en écrivant).
Comment écrivez-vous ?
J'entends j'écoute j'avale (je m'entends je m'écoute je m'avale) jusqu'à ce qu'une phrase s'impose (m'excède me cloue) et me lance. Je note j'écris je rature (des bribes des mots des fureurs). J'écris des carnets de courses de notes, emportés partout, puis sur le clavier ce qui vient (ou pas du tout) de ces notes et fureurs. Tout s'écrit en somme dedans, bout. Puis déborde quand arrive la première phrase c'est-à-dire son rythme.
Écrire, est-ce pour vous un travail ?
Est-ce que ça l'est pour les autres. Je veux dire est-ce que les autre considèrent que c'est un travail. Je veux dire un écrivain n'a pas de situation n'a pas de chômage n'a pas de sécurité sociale alors est-ce que c'est un travail. Je ne sais pas si c'est un travail. Je ne sais pas si c'est un métier. C'est un désir. C'est une douleur. C'est une jouissance absolument de l'ordre sexuel. C'est une précarité. C'est éphémère. C'est désespérant. C'est inutile. C'est isolant. C'est frustrant. C'est suicidaire. C'est injuste. C'est psychotique. C'est une vie. Ce n'est pas un travail.
Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez proche ?
Amicalement, oui, littérairement, moins. Un seul vivant, Guyotat. Non, d'autres. Car des poètes, quelques-uns, parce que c'est vers la poésie (mauvais mot) que la langue s'explore aujourd'hui qu'elle se travaille vraiment, pas dans les romans qui ressemblent à des devoirs de classe. Mais des morts, peu, Bernhard (tout), Reznikoff (tout), Duras (presque), Durrell (Le Quatuor), Genet, et quelques vivants, Butor, Alexievitch, Banks, Ellis, et un Grec exceptionnel et dégueulassement méconnu, Valtinos (tout c'est-à-dire peu).
On a souvent l'impression à vous lire que vous utilisez un matériau en grande partie « autobiographique ». En quoi votre travail est-il différent de celui des auteurs de l’autofiction, courant dans lequel vous dites ne pas vous situer ?
Je n'ai aucune certitude de ma vie. Je ne parle pas que factuellement. Je ne sais pas où elle s'arrête. À moi, aux gens que je connais, aux gens que je connais et qui ne me connaissent pas (Akhénaton, Clovis, De Gaulle, Carla B., Jennifer Lopez…), aux gens qui me connaissent et que je ne connais pas (des fans ?). Je ne sais pas ce qui est vrai. Pour être autobiographique il faut avoir la certitude du réel. Je ne l'ai pas. J'écris ce qui m'est nécessaire. Indispensable. Ce qui me rendrait malade si je ne l'écrivais pas. Me ferait mourir de ne pas l'avoir écrit. (Écrire c'est modifier, donc écrire le vrai n'existe pas, le modifier m'intéresse.)
Dans Genèse (Seuil, 2008), vous vous demandez comment raconter une histoire « qui ne soit pas un récit qui commence à la première phrase et se termine à la dernière phrase, [mais] qui soit une vie, dans une grande tension ». Cette interrogation résume-t-elle votre entreprise ?
Oui.
« Écrire comme on parle » et « lire comme on dit », pour reprendre votre formule, vous permet-il d’atteindre, par-delà les pièges de la « littérature », une certaine vérité de l’individu ?
Écrire comme on parle n'est pas à prendre au pied de la lettre (personne ne parle comme j'écris) (ou oui ?) mais c'est faire bouger la langue (le français quasi langue morte devenue muséale) (un patrimoine) pour la faire vivre. Électrochoc. Au-delà, ce n'est pas la vérité des individus que je cherche à atteindre, mais leurs vérités, leurs contradictions, leurs ambiguïtés, tout ce qui forme ce noeud vivant maladif issu de ça : la vie ne suffit pas.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Un texte inattendu
(absolument inattendu mais qui explore encore la doxa du réel)
Sinon je n'écrirais pas.