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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Comment Baptiste est mort, Alain Blottière (Gallimard)

http-_www.larousse.frDans l'entretien qu’il accordait, voici quatre ans, à ce blog, Alain Blottière, questionné à propos de son intérêt pour les personnages d’adolescents, répondait : « Ils ne sont jamais des êtres domptés ». C’est encore un adolescent qui joue le premier rôle dans Comment Baptiste est mort. Et il se révèle peut-être encore moins domptable que tous les autres.

 

Un thriller psychologique sans psychologie

 

Le récit, qui brasse des thèmes habituels à l’auteur mais les approfondit encore en les réinscrivant dans un cadre plus que jamais contemporain, joue en permanence sur deux plans. Le plus apparent est aussi le plus marqué par l’actualité : Baptiste, ses parents et ses deux jeunes frères ont été enlevés par un groupe de djihadistes et retenus en otage dans un de ces déserts qui deviennent si facilement autant de prisons. Délivré, de retour en France, il est tenu de subir un « debriefing » face à un interrogateur dont on ne connaîtra que la voix. Car « dans sa mémoire se mêlent des moments clairs (…) et des moments plus noirs que la nuit, longs moments bizarrement perdus ». Parmi ces derniers gît un affreux souvenir, qui expliquera à la fois « comment Baptiste est mort » et pourquoi il semble le seul survivant de sa tragique aventure.

 

Travail de la mémoire, donc, qui pourrait se lire comme un brillant thriller psychologique si le dispositif choisi par Alain Blottière ne déjouait pas habilement la psychologie : en alternance, les entretiens de l’adolescent avec son probable psychologue, réduits à de purs échanges de répliques, sans incises ni commentaires, et les plongées dans les souvenirs de Baptiste, souvenirs essentiellement factuels ; l’évolution du personnage et la remontée vers la lumière des scènes obscures seront portées par un jeu d’images et de motifs savamment entrelacés pour former un tissu de plus en plus serré.

 

« … des choses si belles que je ne peux pas en parler »

 

Une des forces du livre est de refuser non seulement les analyses attendues mais aussi tout l’humanisme moralisant qu’un tel sujet pouvait faire craindre. Au point que le lecteur distrait pourrait se sentir choqué de voir des geôliers pourtant dépeints sans complaisance se prendre pour leur prisonnier d’une sorte d’affection, et d’entendre celui-ci dire à propos de leur chef : « Amir m’a beaucoup appris (…), il m’a offert des choses si belles que je ne peux pas en parler ». Mais ce serait oublier que Baptiste a reçu de ses bourreaux le nouveau nom de Yumaï, qui désigne un renard du désert ; et qu’il est un de ces adolescents d’Alain Blottière que « personne, jamais, ne pourra (…) enfermer ». Comme les héros du Tombeau de Tommy (Gallimard, 2009), qui évoquait le jeune résistant Thomas Elek, ou de Rêveurs (Gallimard, 2012), qui mettait en scène deux garçons pendant la révolution égyptienne de 2011, Baptiste/Yumaï trace et insinue son parcours individuel dans les plis de l’histoire collective. Et ce parcours rejoint l’immémorial. Abandonné par ses ravisseurs, qui veulent faire de lui un guerrier, pendant des jours entiers dans une grotte en plein désert, le jeune héros y entre en communication avec un passé très lointain. « Déconnecté » au figuré comme au propre, seul dans « un paysage d’avant les hommes », à force de contempler les peintures rupestres ornant les parois de sa grotte, il finira « par voir » ces figures qui se répondent et s’opposent selon une géométrie énigmatique et pleine de sens.

 

Au seuil de la caverne

 

« Magie », que ce repli dans le passé qui est aussi une fuite et un refuge pour la mémoire de Baptiste, incapable d’affronter ce que lui-même a accompli pendant le temps de sa détention. Mais le beau et scandaleux paradoxe sur lequel se fonde le roman d’Alain Blottière réside en ceci : cette fuite est aussi une quête, qui aboutit à une forme de vérité. À lire les magnifiques descriptions du désert, où le jeu des couleurs déploie un imaginaire intensément visuel, comment ne pas comprendre que c’est une manière d’être au monde que Baptiste, devenu Yumaï, a découverte dans la grotte montagneuse au seuil de laquelle il contemple ces paysages ? Et que cette caverne, dont il ne parlera à aucun enquêteur, est la métaphore d’une descente au plus profond de soi ?...

 

P. A.

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