Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Le titre est alléchant : il promet les surpattes, le plastique, les amours adolescentes sur fond de guerre d'Algérie, avec si possible une réflexion désabusée sur la perte de la jeunesse et les déceptions de l'Histoire.
Drôles d'années 1980
Mais ce n'est pas au temps des yé-yé que se situe le roman de Mark Greene. Quand ses deux personnages principaux, Franck et Richard, écrivent par hasard et désœuvrement une chanson appelée à devenir un succès planétaire, on est en 1985. Première déception. Vite compensée : pour Greene, les années 1980 ressemblent à s'y méprendre aux années 1960. On roule en Jaguar jaune (« à l'époque, ce genre de couleurs ne surprenait guère »), on fume des Gitanes (« il y avait encore des fumeurs de Gitanes, en ce temps-là »), et « les Champs-Élysées », c'est dire, « [sont] encore les Champs-Élysées » (« il y flottait encore un parfum particulier, un air d'insouciance et de nouveauté, hérité de la Libération et de l'après-guerre »). À croire que l'auteur a confondu deux périodes ou, regrettant de n'avoir pas vécu l'une, décidé de faire tout bonnement de l'autre la première. Comme aucun repère purement historique ne vient par ailleurs jalonner le récit, ça peut passer. Voilà pour le portrait d'une époque, que vante comme de juste la quatrième de couverture.
"...son museau dans les fourrés de l'âme"
Restent les deux autres ingrédients prévisibles du récit : histoire d'une amitié et méditation sur le temps et la mémoire. Ils y sont, c'était prévisible. Des années après que les feux de la rampe ont saisi puis abandonné nos deux héros, Franck, le narrateur, retiré dans une province campagnarde que Mark Greene dépeint comme un curieux mélange de Moyen Âge et de vaste quartier résidentiel bobo, se rappelle les temps glorieux, qui semblent aussi avoir été, on ne comprend pas très bien pour quelle raison, des temps malheureux. Nous assistons donc alternativement, en flash-back, à la fabrication technique et commerciale du « tube » (ce qui est, chacun le reconnaîtra, d'un vif intérêt) et, en direct, au travail de mémoire effectué par son coauteur. Celui-ci rôde la nuit dans les rues du village, plongées dans d'opaques ténèbres car les réverbères ne marchent pas. Dans ces moments-là, il transporte dans ses poches de petits sacs de terre dont il se barbouille aussi le corps, la faisant tenir avec du vin. Ne me demandez pas pourquoi. Mais pendant tout ce temps, sa mémoire travaille, « une mémoire que rien n'arrête. Qui fouille sans cesse, dans la nuit. Qui promène son museau dans les fourrés de l'âme », carrément. Tout cela dans l'espoir de « faire la rencontre d'un peu de sens ». Et, à la fin, cette rencontre a sûrement eu lieu. La preuve : Franck décide de recontacter Richard et de l'inviter à venir faire lui aussi un petit séjour au vert pour se remettre à composer en sa compagnie, « trente ans après. Comme au premier jour » (habile construction circulaire, à l'image de l'objet autour duquel tout tourne).
Car c'est aussi, ne l'oublions pas, un grand roman de l'amitié. Celle qui a failli unir Franck à Wilfried, le producteur du disque, mais ça n’a pas pu se faire car ainsi va la vie. Celle qui a effectivement uni Franck et Richard, gros garçon prétentieux et antipathique, lequel, « malgré tout, [a] un air sensible, un regard vif, un peu inquiet, des mains longues, assez belles ». Chez cet artiste raté, il y a, nous dit le narrateur, « une démesure » qui « le rapproch[e] de l'artiste ». « À un détail près », ajoute-t-il un peu perfidement, « les huit petites notes [du tube], c'était moi ». Pourquoi lui ? Pourquoi l'autre ? Pourquoi ce livre, en fin de compte ? Autant de mystères. Mais cet objet énigmatique offre décidément, il faut le reconnaître, la parfaite image de celui qui lui donne son titre : circulaire (voir plus haut) et plat.
P. A.
Une première version de ce texte a été publiée le 24 avril 2016 sur le site du Salon littéraire.