Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
À première vue ça semble un peu ringard de tenir à la correction de la langue. Une langue vit. Elle évolue. C’est un creuset. Elle se métisse. Et le métissage, c’est beau.
Pourtant, en dépit de ces assertions bien-pensantes, quand on y réfléchit on ne peut pas s’empêcher de penser que ce qui est ringard c’est plutôt de dire : Suite aux opportunités que j’ai su saisir dû à mon Q.I., j’ai pu initier un projet dont je me rappelle. Pourquoi.
D’abord par élitisme. Confessons-le sans hésiter, il est plus satisfaisant de faire partie du petit nombre de gens qui savent que par contre « est une façon de parler de boutiquier » que de la masse de ceux qui disent il faut mieux « parce que c’est plus logique ».
Mais il ne s’agit pas seulement d’élitisme. Il y a aussi la répulsion que suscitent les assertions bien-pensantes. On en est si constamment baigné. On nous répète si souvent que c’est vilain d’être élitiste. L’inévitable et même désirable évolution de la langue, le ringardisme du purisme font partie eux aussi de la vulgate en vogue, comme la condamnation résolue du politiquement correct dont ils sont une illustration. L’expression politiquement correct elle-même on en a la nausée. Les clichés et les fautes de français provoquent au fond le même dégoût, entre ces clichés et ces fautes il y a quelque chose de commun qui tient sans doute à leur consistance minérale et à leur sempiternel ressassement.
Car le problème ce n’est pas la faute en tant que telle, c’est que tous la répètent en croyant qu’elle est juste. La faute, en soi, aucun problème. Le problème c’est l’oubli de la norme. On voit du coup que dans cette histoire de justesse il n’est pas question seulement d’élitisme ou d’accablement devant la vulgarité des vulgates. Il y va du sentiment de la perte, rien de moins (et non pas Il y va de rien moins que du sentiment de la perte, comme diraient les ignorants). La satisfaction élitiste a vite fait de s’inverser en angoisse de submersion quand on a l’impression d’être un des derniers humains à savoir que c’est de cette histoire dont je vous parle est une faute. Je sais ce que vous pensez, tout cela a à voir avec le vieillissement et la perspective de la mort. J’y avais songé moi aussi.
Seulement au niveau de profondeur où nous voilà rendus il faut reconnaître que c’est compliqué. Car je sais bien qu’on ne devrait pas dire « où nous voilà rendus » comme je l’ai écrit à l’instant. Dans ce que j’écris, sans parler de mes virgules, on trouve des tas d’incorrections, et j’adore aussi l’usage des expressions toutes faites, les en rester comme deux ronds de flan ou n’y aller que d’une seule fesse. Le beau style, quoi de plus vulgaire. La pureté, la correction, depuis le XIXe siècle au moins ça ne fait pas de la littérature.
En même temps évidemment je n’irais jamais écrire après qu’il soit parti ou nous nous sommes rencontrés via une amie commune. J’aurais bien trop peur qu’on croie que je ne sais pas, parce que si on le croyait on croirait aussi que c’est le cas quand je sais. Bref, la littérature est affaire d’effets et si le lecteur ne perçoit pas la transgression elle devient un cuir.
Hors du champ littéraire bien sûr ce serait un peu étrange de faire des fautes en signalant, par exemple par un petit ricanement nasal, qu’on n’est pas dupe. Ça finirait par agacer ces ricanements, et puis on ne voit pas tellement l’intérêt. Le plus simple est encore de s’en tenir à une position stricte, réactionnaire, accablée, ringarde. Elle sera toujours moins ringarde que l’autre. Et elle aura en tout cas le mérite de l’élégance.
P. A.