Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Voici la rentrée littéraire. Elle se fait « sous le sceau du réel », c’est Le Monde des livres qui le dit. On s’y pose la question : « La fiction est-elle morte ? » Car dans le déferlement de cette année il faut paraît-il distinguer deux types de « romans » pour l’essentiel. Ceux qui s’inscrivent dans la « veine autobiographique » (moi, ma famille, ma femme, mon mari, mon enfance…) et les enquêtes ou autres évocations de figures célèbres (du président de la République à celui qui a failli l’être).
On écrit toujours sur soi, même quand on parle d’autre chose. Quand on écrit Le Comte de Monte-Cristo c’est encore de soi qu’on parle, même si ça se voit moins évidemment que quand on écrit À la recherche du temps perdu. Donc rien de neuf en ce qui concerne la première catégorie de romans 2012. Que le narcissisme s’y affiche avec moins de précautions que jamais c’est dans la logique de l’époque.
Et il pourrait y avoir lieu de se réjouir devant cette persistance de, disons, l’auto-écriture. Que celle-ci ait traversé sans encombre toutes les années pendant lesquelles on nous a abreuvé de cette scie, la littérature française est nombriliste, confirme ce qu’on a toujours su : les histoires de nombril c’est très intéressant.
Mais il y a nombril et nombril, et diverses manières d’en écrire. Ces nombrils de l’automne 2012, peut-être la seconde catégorie d’ouvrages les éclaire-t-elle d’un jour révélateur, et peut-être aussi dévoile-t-elle la vraie tendance de cette rentrée.
L’obession de la réalité où on se rue comme dans un mur n’est pas nouvelle, comme Raphaëlle Leyris le rappelle aussi. « Racontez-nous des histoires vraies ! », cette clameur, refluant des caniveaux de la presse du même nom et des écrans de la télé, envahit tout de son éclat, cinéma et littérature. Qu’une histoire inventée puisse être plus vraie que la vraie vie, peu de gens dirait-on s’en souviennent.
Et on pourrait voir des motifs de satisfaction dans ce recul de la fiction, si c’était un recul du romanesque. S’il mettait fin à la tyrannie de l’histoire-à-raconter ce serait un vrai soulagement pour bien des auteurs, et pour bien des lecteurs aussi, libérés de l’histoire-à-lire.
Seulement s’agit-il de cela ? À voir la place qu’occupent dans les librairies les rayons « polars » on peut douter que notre époque de jeux vidéo, de manga et de fantaisie, héroïque on pas, soit sur le point de renoncer vraiment à la fiction. Ce ne serait pas plutôt l’inverse ? Plutôt qu’à un recul de la fiction au profit de la réalité est-ce qu’on n’assiste pas à une absorption intégrale de la seconde par la première ?
« Faites des romans de nos vies ! Elles n’ont pas l’air très romanesques mais elles le sont sûrement un peu puisqu’on pourrait après tout elles aussi les raconter. Pénétrez-nous de cette idée et aidez-nous à tenir par là le réel à distance prudente »…
Car avec le réel il faut toujours se méfier. C’est comme avec les requins de la Réunion. On surfe on surfe on oublie qu’il y a des requins, qui font, mon Dieu, leur métier de requins quand ils voient passer un surfeur. En tire-t-on la conclusion qu’il vaut mieux aller surfer ailleurs ou cesser de surfer, sûrement pas, on s’en prend aux pouvoirs publics qui exagèrent de tolérer ce coup de dent dans des existences qu’ils devraient avoir à cœur de garder lisses, pleines, toutes à l’épanouissement personnel, sans aspérités et sans trous.
Ce pourrait sûrement faire une petite fable à propos de la rentrée littéraire 2012 : « Le surfeur, la mer et le requin ». Qui là-dedans représenterait la littérature ? On ne voit pas trop, et c’est peut-être significatif. Dans l’autre histoire à trois : le lecteur, la fiction et la réalité, on ne sait pas non plus très bien où elle se trouve. La réponse dans les livres de la rentrée, sûrement.
P. A.