• www.critikat.comAprès, au début de l’année, Le Masque de Dimitrios (voir ici), en attendant deux autres rééditions en 2025, voici le deuxième des romans de l’écrivain anglais mort en 1998, que L’Olivier a entrepris de nous faire redécouvrir. Comme c’était le cas pour le précédent, la traduction de ce texte-ci a été révisée et, en l’occurrence, complétée. La première version datait en effet de 1951, le livre étant paru en Grande-Bretagne en 1938.

     

    Soit un an avant Le Masque… On est étonné de l’apprendre. Avec son héros romancier, ce premier récit republié, où la réflexion sur le roman constituait au fond le vrai sujet, semblait annoncer une méthode. Il se situait à la limite du roman d’espionnage et du roman policier, comme s’il hésitait encore à s’engager franchement dans le genre qui devait faire la réputation d’Eric Ambler. Un an plus tôt, pourtant, Je ne suis pas un héros est une vraie histoire d’espions, parfaitement composée et dosée, selon une alternance de dialogues et de scènes d’action, avec montée progressive dans l’intensité de ces dernières.

     

    Agents secrets, train en marche et spirales

     

    Impossible, ça va de soi, d’entrer dans les détails. Disons que Marlow, jeune ingénieur britannique réduit au chômage par la récession frappant son pays, répond à une annonce de la firme « Spartacus », spécialisée dans la fabrication de machines à fabriquer des obus. Il s’agit de prendre la tête du bureau de Milan, dont le précédent directeur s’est fait, tiens, tiens, écraser par une voiture. On est en 1937 : les obus fabriqués grâce à « Spartacus » trouveront bientôt leur usage. L’axe Rome-Berlin, récemment constitué, hésite entre rivalité et bonne entente. Marlow est contacté par le général Vagas, agent allemand qui propose de le rémunérer pour des informations sur l’industrie d’armement italienne. Zaleshoff, agent soviétique, l’incite à accepter pour donner de faux renseignements, semer la discorde entre les deux puissances et œuvrer ainsi pour la paix. Cependant, l’OVRA, police politique du régime fasciste, lui confisque son passeport et l’a à l’œil.

     

    Je ne peux pas en dire plus. Sinon qu’après bien des rendez-vous nocturnes et des filatures, on sautera d’un train en marche, on se déguisera, on assommera, jusqu’à une marche hallucinante dans la neige conduisant, en pleine montagne, au « point culminant », explicitement désigné comme tel, du récit : une nuit en compagnie d’un scientifique que le fascisme a rendu fou et qui, après avoir cité Leibnitz et Newton, montre à Marlow son manuscrit, « gribouillage enfantin » essentiellement composé de spirales enchâssées.

     

    Satin écarlate, monocle et pardessus

     

    Mise en abyme ou image dans le tapis ? Le fait est qu’il y a plusieurs romans dans ce roman. Sans parler des rapports entre Marlow et Claire, sa fiancée demeurée à Londres, on pourrait s’arrêter sur l’histoire de Zaleshoff et de sa sœur (?) Tamara ; ou sur celle du général Vagas et de sa femme, qui le hait et passe son animosité sur « un jeune valet au teint pâle, en livrée de satin écarlate », dont la présence dans leur invraisemblable villa milanaise n’est visiblement pas étrangère à ce sentiment…

     

    Lequel général, avec son fond de teint, son monocle, le santal dont il se parfume, n’est qu’une figure parmi d’autres dans une galerie de portraits où l’humour le dispute au grotesque inquiétant. La manie générale du détail s’y donne libre cours. Elle contribue, partout, à créer l’atmosphère : rues dans la nuit, restaurants, berlines, individus qui, « dissimulé[s] dans l’embrasure d’une porte, relèv[ent] le col de [leur] pardessus ». « Pendant un instant, l’éclat des phares projeta mon ombre allongée (…) sur le trottoir et le bas de la façade d’un long bâtiment sombre »… comme au cinéma.

     

    Un naïf chez les ombres

     

    C’est Marlow qui nous décrit ce monde de spectres et de masques. L’ingénieur serait-il un autre avatar du romancier ? Sauf qu’ici le « héros » joue surtout le rôle du lecteur, à qui il convient de tout expliquer : « Je vous écoute », « Alors ? », « Qu’allons-nous faire maintenant ? » sont ses répliques favorites. Et lui-même prend un sombre plaisir à souligner après coup ses propres erreurs (« Si j’avais pu soupçonner… Mais n’anticipons pas »).

     

    Que lui explique-t-on, à ce naïf égaré au pays des ombres ? L’art de se fondre parmi elles, certes. Mais aussi les règles de leur jeu. Dans des termes qui ne laissent aucun doute sur les sympathies qui pouvaient être à l’époque celles de l’auteur lui-même : « Ventre creux ou ventres trop remplis, c’est toujours la même histoire qui se répète » ; « La notion d’État (…) est une sorte de tas de fumier érigé pour étayer un système économique mis à mal » ; le professeur Beronelli « s’est évadé de la démence ambiante pour se réfugier dans la sienne »… C’est Zaleshoff, initiateur et mentor dans ce curieux roman d’éducation, qui dit tout ça. Et on le surprend, à l’occasion, à fredonner Bandiera rossa… La conclusion, tirée d’une fictive « revue française », n’est cependant pas de lui : « Une coopération étendue entre les trois grandes démocraties européennes – la France, la Grande-Bretagne, et notre alliée la Russie soviétique – (…) représenterait une force incontestable pour le maintien de la paix ».

     

    Coopération qui, comme on sait, ne se fit pas. Mais l’important ici est surtout le problème moral sur lequel débouche une telle réflexion politique. Marlow, qui vend des machines aux fabricants de canons fascistes, cessera-t-il un jour de dire : « Tout cela ne me concerne pas » ? Oui. Choisira-t-il alors son camp ? L’écrivain britannique est trop subtil pour que la réponse soit simple. « Les dieux », ces « bons farceurs », choisiront pour lui ; ou le hasard ; ou la sympathie que lui inspire le représentant du Bien (« Il était impossible de ne pas aimer Zaleshoff ! »).

     

    En somme, il a la réaction qu’Ambler souhaite provoquer chez son lecteur : que celui-ci le veuille ou non, il est embarqué, et séduit. De ce point de vue-là, nous sommes tous des Marlow.

     

    P. A.

     

    Illustration : Carol Reed, Le Troisième Homme, 1948

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  • www.vanupied.com« Ce pourraient être de courts romans », dit Daniel Argelès à propos des cinq nouvelles allemandes composant ce recueil. Et d’évoquer les novelle de Zweig ou de Schnitzler, que ce spécialiste de la langue de Goethe connaît bien.

     

    La formule s’appliquerait indéniablement aux deux récits les plus longs… Les Odeurs de ma vie : Martin est patron d’une entreprise de purification de l’air ambiant (ventilateurs, systèmes d’aération, etc.) et époux adultère ; le décor vieillot d’une chambre d’hôtel à Chicago le ramène soudain au souvenir du temps passé jadis dans une prison de RDA. Retour à Berlin-Est : un couple de quinquagénaires français séjourne à Berlin, où leur fille est sur le point d’épouser un jeune Allemand ; dans une exposition sur la RDA, la photo d’Erich Honecker au Festival de la jeunesse (1973) rappelle au mari la colonie de vacances où l’avait envoyé son père communiste.

     

    Boucles du temps

     

    Il y aurait bien là la matière de deux romans. Pourtant ces textes restent des nouvelles : comme les autres récits du recueil, ils ne racontent, en fait, qu’un instant – celui du court-circuit temporel qui provoque le retour d’un passé oublié ou occulté, venant se mêler au présent, dont il se distingue en général par l’emploi de l’italique pour les passages qui l’évoquent. L’événement prend une forme quasi fantastique dans L’Anniversaire, où l’enfant dont on célèbre le jour de naissance, et dont le père prépare un cours sur la littérature allemande et yiddish de la Shoah, croit tout à coup entendre un chien gémir. Retrouvant dans sa bibliothèque le poème de Gertrud Kolmar Un chien, le père s’aperçoit que l’auteure a été déportée à Auschwitz le même jour que celui où, des années plus tard, son fils est né. Dans À un fil, un professeur d’université allemand revoit des fragments de sa vie au moment de mourir. Dans En un souffle, un trompettiste de jazz d’origine allemande, exalté et bouleversé par la naissance de son premier enfant, joue sur son instrument et revoit son passé. À chaque fois, un élément déclencheur provoque la remontée des souvenirs : image, objets qui, grossis, prennent un aspect inquiétant (« Des franges dans la lumière (…). Un liseré blanc, des fils beiges tressés au bout d’un pompon ») ; odeurs (« de lino, de colle séchée et de désinfectant », « de béton nu », « d’établi et de chaîne à vélo »…)

     

    À chaque fois, aussi, l’histoire individuelle est reconduite au point où elle s’est nouée à la grande Histoire. Expérience peu gratifiante, qui renvoie le sujet au caractère dérisoire d’une vie qu’il croyait contrôler. Nos héros, cependant, n’ont pas grand-chose à se reprocher… Martin, l’ex-prisonnier, est surtout une victime, dont le seul tort est d’avoir caché son passé à ses enfants. Le personnage d’À un fil, autrefois, à Francfort, a témoigné en justice contre ses étudiants rebelles. Évidemment… Mais celui de Retour à Berlin-Est n’est guère coupable que d’avoir, adolescent, écrit des lettres d’amour et écouté de la musique pop tandis que d’autres, en RDA, souffraient du régime. On a quand même vu pires crimes… Tout est donc surtout dans la boucle temporelle elle-même, et dans le tourbillon où elle emporte un individu brutalement conscient de sa propre inconsistance. Se libère-t-on jamais du passé ? Échappe-t-on un jour au cauchemar de l’Histoire ? Malgré un finale qui se termine sur le « souffle nouveau qui s’annonce », il reste permis d’en douter.

     

    Mécanique des fluides

     

    Pourquoi l’Allemagne ? Parce qu’elle est au cœur de l’Europe du XXe siècle, bien sûr. Et peut-être aussi parce qu’elle est au centre d’une aventure plus personnelle. Comme Jean, le héros de deux des cinq récits, Daniel Argelès enseigne et traduit l’allemand, a vécu aux États-Unis, a un père, lui-même germaniste et traducteur, qui fut pendant plusieurs années permanent du Parti communiste français et, à ce titre, souvent invité avec femme et enfants en RDA (1).  Histoire et histoire, Allemagne et Europe, passé et présent… Les nouvelles d’En un souffle brassent des éléments contrastés, les enveloppant dans un réseau d’indices à peine visibles, de détails, de références, littéraires et musicales (éclaircies en fin de volume), qui s’appellent et se relaient dans un flux toujours en mouvement. Ce n’est pas un hasard si les fluides jouent un grand rôle. Eau et, surtout, air. Martin, pour son malheur, vendait dans la rue des flacons d’air de Berlin-Ouest avant de vendre, bien plus tard, des systèmes d’aération. Teddie, le héros d’À un fil, a un malaise dans un téléphérique, et, « dans cet entre-deux suspendu », revoit le Papageno de La Flûte enchantée tenter de se pendre (« Gute Nacht, du falsche Welt ! »). Quant au trompettiste de la nouvelle-titre, le courant des souvenirs l’emporte dans une seule longue phrase dépourvue de points, qui mêle l’exilé actuel à tous les exilés de l’Histoire, et le musicien à tous ceux qui ont fait musique du sentiment de leur exil.

     

    Le temps, ici, est une matière fluide qui s’écoule et reflue, et les êtres eux-mêmes sont sans limites bien certaines. Étrange continuité ondulatoire, qui incite à la prudence (le passé n’est jamais tout à fait passé), comme (l’avenir est toujours déjà là) à l’espoir.

     

    P. A.

     

    (1) Voir, ici, l’entretien accordé à ce blog par Jean-Marie Argelès

     

    Illustration : mosaïque de Walter Womacka, Berlin, ex-RDA, 1964

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  • www.itinera-magica.comLe seul livre qu’on mentionne et qu’on ouvre, dans ce roman d’un jeune auteur déjà célèbre en son pays et au-delà, est une œuvre d’Adalbert Stifter. Et, d’abord, le lecteur s’étonne. Certes, tout se passe ici dans la campagne autrichienne, où Jakob, le héros, dirige une exploitation agricole. Cependant l’auteur de L’Arrière-saison (1) peignait, avec quel luxe de détails, le mystère des choses et celui de la nature ; alors que chez Reinhard Kaiser-Mühlecker rien de tel, les objets, nombreux, ne sont que les vecteurs de l’action, dont les lieux, mis à part le pont autoroutier qui domine les champs de Jakob, sur lesquels il déverse un incessant bruit de fond, ne constituent que le décor.

     

    Bref, peu de rapports, se dit-on dans un premier temps, avec l’œuvre du grand écrivain célébré par Nietzsche et Kafka. Puis, on se rappelle que cet auteur prolifique s’est, un beau jour de 1868, tranché la gorge. Et on commence à mieux comprendre…

     

    « Ferme de l’année »

     

    Jakob a la responsabilité de la ferme depuis son plus jeune âge : ni son frère ni sa sœur ne s’y sont intéressés, et son père, du moins en apparence, est un incapable passablement perturbé. L’exploitation ne marche pas très bien : l’élevage de poissons a été un échec, et les poulets ne vont pas fort. Quant à la vie privée de Jakob… Après avoir enfin compris que l’enfant de Nina n’était pas son propre fils, il l’a quittée, et il passe désormais ses soirées à boire de la bière en traînant sur Tinder. De temps à autre, il sort de sa table de nuit un vieux revolver dont le barillet ne contient qu’une seule balle, et joue à la roulette russe. Sans succès pour le moment.

     

    Mais Jakob rencontre Katja, jeune artiste invitée en résidence dans le bourg voisin. Contre toute attente une relation naît entre eux, qui aboutit à un mariage et à la naissance d’un jeune Brandon. Ayant hérité de sa grand-mère, Jakob, sous l’influence de son énergique compagne, se lance dans l’élevage des porcs. L’attribution à son domaine du titre de « Ferme de l’année 2021 » vient couronner son ascension.

     

    « Gris d’Hitler » et « casque antibruit »

     

    Si on s’en tient à ce résumé, qui ne néglige que les dernières pages du roman, on omet l’essentiel : l’incroyable tension qu’on éprouve à le lire. Rien de spectaculaire n’advient. Seuls de discrets détails-jalons viennent s’accumuler, qui ne prendront leur sens que lors du dénouement brutal. Mais rarement récit aura produit un si fort sentiment d’angoisse et de péril sous-jacent.

     

    Au premier plan, la vie de la ferme suit son cours, sans qu’on ait pourtant jamais le soupçon d’être dans un roman documentaire ou à thématique écologico-sociétale. L’art du déplacement est poussé à son comble. On se sent toujours au bord de ce dont il s’agit vraiment – c’est-à-dire d’une violence souterraine, laquelle n’affleure que par le biais de détails intrigants ou d’allusions lacunaires. Le revolver, « découvert dans une vieille sacoche, sous les combles de la ferme », a appartenu au grand-père de Jakob. Ce même aïeul s’est enrichi grâce à « l’argent des Juifs », dont son petit-fils finira par hériter. À l’auberge, les paysans, dont certains arborent « le costume traditionnel du pays », fument ce qu’on appelle, « sans trop savoir pourquoi », « le gris d’Hitler ». Jakob entre en fureur quand il voit les citadins goûter à la campagne « les vertus de l’oisiveté, dont on vous reb[at] les oreilles à la radio » (« Connards. Avait-il le temps de paresser, lui ? »). On partage exclusivement son point de vue, n’entrant dans ses pensées qu’autant que lui-même éprouve le besoin de le faire : il a eu jadis une « histoire avec Markus, qu’il [est] préférable de passer sous silence » et dont on apprendra plus tard qu’elle n’est pas ce qu’on serait d’abord tenté  d’imaginer ; Katja, heureusement, « ne [sait] pas ce qu’on [sait) à son sujet ici » ; un jour, il a « lancé une grande et lourde brique (…), visant son père » ; au début du récit, on le voit empoisonner son chien ; puis il aura, plus tard, un autre chien…

     

    Sa femme le regarde souvent avec perplexité, sentant qu’il y a « quelque chose qui cloch[e] » chez lui. Mais qui est venu « braconner » dans le domaine de l’autre ? Est-ce lui qui l’a « attirée dans ses filets », ou elle qui l’a « épinglé à son tableau de chasse » ? La vaillante jeune épouse est ambivalente. Tout le monde l’est, dans ce curieux livre, construit tout entier sur un triple écart : entre le quotidien et ce qui pourrait arriver à tout moment ; entre le personnage et les autres, que nous observons avec lui depuis « la fenêtre de l'existence » ; entre le personnage et lui-même, dont il cherche à s’isoler au moyen du « casque antibruit » dans lequel il écoute la radio à fort volume.

     

    « Qui était-il, alors ? »

     

    Pourtant, cet écart entre lui et lui fascine aussi Jakob, au point qu’il y revient sans cesse. Ce jeune fermier sans grande instruction est hanté de questions et de réflexions, portées par de longues phrases à la syntaxe impeccable, que le traducteur restitue avec la rigueur et l’élégance dont il est coutumier. Parfois, Jakob ne pense à rien, mais souvent il pense à Dieu, à sa vie (« Les obstacles semés sur sa route [ont-ils été] une épreuve cruelle digne de l’Ancien Testament ? »), à ce qu’il peut bien être : le monde croit qu’il tient de son grand-père ; lui-même sait qu’il ressemble à son père ; « mais s’il s’[est] toujours comporté comme un autre, qui [est]-il, alors ? »…

     

    Qui ? Un paysan autrichien de 2021 ; un jeune mari qui aime son épouse et son fils ; un homme jamais certain de ne pas risquer de les perdre, et cela par sa propre faute – il risque en effet toujours de voir surgir un autre en lui. La superposition de l’Histoire, de la psychologie et de la métaphysique donne à ce sombre récit ses profondeurs. Sombres. Ne le sont-elles pas toujours ?

     

    P. A.

     

    (1) Traduction française Martine Keyser, Gallimard 2000

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  • photo Pierre Ahnne

     

     

    Mes livres du mois d’avrilLe Village secret, Susanna Harutyunyan, traduit de l’arménien par Nazik Melik Hacopian-Thierry (Les Argonautes)

    Un village miraculeusement préservé, dans les montagnes d’Arménie, poursuit sa vie ancestrale et accueille au fil du temps les victimes des persécutions du siècle passé. Entre mythe et roman, l’hymne d’une grande écrivaine à son pays.

    Pour lire l’article, cliquez ici.

     

    Mes livres du mois d’avrilJe est un autre, Jon Fosse, traduit du néo-norvégien par Jean-Baptiste Coursaud (Bourgois)

    Le deuxième tome de la Septologie entreprise par le Prix Nobel 2023… Le peintre Asle évoque son adolescence, sa rencontre avec sa compagne, sa décision de peindre « les images [qu’il a] dans la tête ». La neige tombe, la présence pressentie de Dieu unifie mystérieusement le monde, une grande œuvre suit son cours.

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    Mes livres du mois d’avrilToiles, Elsa Gribinski (Mercure de France)

    L’auteure est finaliste du Goncourt de la nouvelle avec ce recueil subtilement composé, qui explore, en seize textes, l’espace entre le regard, la chose peinte et les choses réelles.

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    Mes livres du mois d’avrilLa Maison noire, Yûsuke Kishi, traduit du japonais par Diane Durocher (Belfond)

    Le maître japonais du thriller est de retour, avec une histoire d’assurance-vie qui mêle méditation sur le mal contemporain, fantasmes archaïques et mythes ancestraux. Sombre et sanglant.

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    Mes livres du mois d’avrilL’Origine des larmes, Jean-Paul Dubois (L’Olivier)

    La triste vie de Paul, dont le père était bien méchant, et qui dirige une entreprise fabriquant des sacs mortuaires. Élégamment construite mais sans but bien visible, une fiction placée sous le signe de la pluie.

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    Mes livres du mois d’avrilEt ils revêtirent leurs fourrures d’aiguilles, Zuzana Říhová, traduit du tchèque par Benoît Meunier (Seuil)

    Un couple de Pragois quadragénaires installés à la campagne victime des étranges rituels auxquels se livrent les villageois… Le monde noir et foisonnant des contes n’est pas aussi loin du nôtre qu’on le croit.

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    Mes livres du mois d’avrilPauline ou l’enfance, Philippe Bonilo (Arléa)

    Le narrateur retrouve la maison de son enfance et le souvenir des étés vécus près d’une lumineuse petite fille. Un fragment de temps pur, proustien et poétique.

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    Mes livres du mois d’avrilLes Oracles, Margaret Kennedy, traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel (La Table Ronde/Quai Voltaire)

    La réédition des œuvres de l’écrivaine britannique se poursuit, avec cette satire brillante et douce-amère du mariage, de la vie de province et du snobisme intellectuel.

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  • www.totalenergies.frLe Festin (1) se terminait par un cataclysme. Une falaise s’effondrait, ensevelissant et punissant les personnages chargés d’incarner dans le roman les sept péchés capitaux. Dans ce roman-ci, paru dans sa version originale en 1955, le cataclysme se produit au début. Il est plus modeste… Un orage, lointain écho de la guerre encore récente (« C’était pire qu’un raid, disaient certains ») vient s’abattre sur la petite ville de Cornouailles qui servira de décor à l’action. « Au vu des forces colossales qu’il [a] convoquées, tous s’accord[ent] à penser qu’il [va] se passer quelque chose quelque part ».

     

    Snobs et bouseux

     

    Et, en effet… La foudre frappe une vieille chaise de jardin, faisant d’elle un objet bizarre. Or, ladite chaise servait aux jeux d’un groupe d’enfants. Et ces enfants, issus de diverses unions, vivent dans le foyer bohème, recomposé et précaire du sculpteur Conrad Swann, qui intrigue, fascine et choque les autochtones. Terrifiés par l’objet, auquel ils prêtent des pouvoirs mystérieux, les gamins l’enferment dans l’appentis où l’artiste entrepose ses œuvres. Circonstance aggravante : ce même artiste, en proie à une crise psychique compliquée d’amnésie, disparaît dans la nature environnante. Les « oracles » qui l’entouraient et prétendaient veiller à ses intérêts, au premier rang desquels Martha Rawson, « petite femme résolue au sourire carnassier » sûre d’être « née pour mener le monde », ont seuls la parole. Persuadés que l’étrange structure métallique est la statue d’Apollon à laquelle Swann était censé travailler, ils se mettent en tête de la faire acheter par la municipalité. Mais « il faut gérer tout cela avec doigté », vu que, dans la commission qu’il s’agit de convaincre, « le premier bouseux venu pense que son avis compte »…

     

    Cette histoire de fausse statue fournit la colonne vertébrale de ce qui, disons-le tout de suite, n’est pas une satire de l’art moderne : Swann, personnage sincère et singulier, est loin d’être antipathique, et une de ses œuvres (authentique, celle-là) sera décrite comme une création d’une vraie puissance. S’il y a satire, elle vise le snobisme des prétendus connaisseurs en mal de pouvoir, qui n’ont que mépris pour l’ignorance des « provinciaux » ; en même temps que, dans un habile jeu à double détente, la province anglaise elle-même et son étroitesse d’esprit. L’écrivaine britannique s’attaque à cette double cible avec l’humour, l’ironie parfois féroce et la justesse de trait qu’on lui connaît, depuis surtout que La Table Ronde a entrepris de nous la faire redécouvrir.

     

    Bons orages

     

    L’orage et son émanation maléfique, « la Chose » (la chaise), mettent en crise une micro-société dont ils révèlent les ridicules, les mesquineries, les égoïsmes – parfois, les générosités. Ces deux points de départ ne sont au fond qu’un prétexte à une formidable comédie, aux multiples personnages, où la vivacité des scènes dialoguées s’ajoute à l’astuce jubilatoire des imbroglios. Plusieurs histoires s’y entrecroisent. La principale est celle d’un couple pour lequel la tempête initiale prend tout son sens métaphorique. Dickie est un jeune notaire « modeste et bien élevé, souffrant toutefois d’un excès de matière grise dont il n’[a] pas l’air de savoir quoi faire ». Il aime vraiment l’art, la littérature, « [s’]ennuie à mourir » dans sa charge, dans sa petite ville, ainsi que dans son mariage avec la charmante Christina, laquelle serait « entièrement digne d’admiration, sans cette autosatisfaction naïve qui [peut] la rendre insupportable ». Elle déplore les « errements prétentieux » de son époux, souffre de la condescendance dont il fait parfois preuve à son égard, mais sait se défendre. Tous deux manquent se séparer, puis, en définitive, échappent au naufrage : « Leur union, que l’amour n’irriguait plus, devait survivre grâce à la bonté, à la compassion et à la tolérance réciproque » ; « Ils ne se comprendraient jamais bien l’un l’autre mais c’était préférable ».

     

    Comme dans Le Festin, comme dans Divorce à l’anglaise (2), la dimension morale est centrale dans ce roman. Morale sans moralisme et sans optimisme, mais aussi sans désespoir systématique et formaté. Une porte reste toujours ouverte sur l’avenir, et si un personnage affirme : « Les gens ne changent pas », un autre est là pour lui répondre : « Si, ils changent tout le temps ». Margaret Kennedy explore une zone qu’on hésite à qualifier de grise tant son univers est dynamique et, au contraire, coloré. Personne cependant n’y a jamais tous les torts ni toutes les vertus. Et personne n’en sort indemne.

     

    … Sauf les enfants. S’ils sont cette fois moins directement présents que d’habitude, ils se tiennent en permanence dans un arrière-plan d’où ils émergent de temps à autre pour des interventions d’une drôlerie et d’un naturel étincelants. Puis ils retournent dans leur monde, depuis lequel, en toute inconscience, ils déclenchent les aventures des adultes, mouvementées mais non exemptes d’une forme de justice indirecte. Si l’orage a été, en définitive, plutôt un « bon orage », qui a « vraiment fait du bien », c’est grâce à eux. Organisateurs innocents, ce sont bien eux les vrais artistes.

     

    P. A.

     

    (1) 1950, republié par le même éditeur en 2022 – voir ici

     

    (2) 1936, republié par le même éditeur en 2023, dans une version française due à la même traductrice, voir ici

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