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En 2022, chez le même éditeur, traduit avec le même talent par David Fauquemberg, paraissait Un fils comme un autre (1) : dix-huit récits écrits, disait Eduardo Halfon lui-même, au cours des « cinq [premières] années de la vie de [son] fils ». Récits d’un père qui se révélaient eux-mêmes ceux d’un fils, et d’un petit-fils, mêlant, dans une construction éblouissante, à la vie de l’enfant de cinq ans celle de son géniteur, entre le Guatemala natal, les États-Unis, Paris, Berlin, enfin, où demeure aujourd’hui l’auteur, connu et couronné.
Ce livre-ci, ou, pour parler comme le communiqué de presse, « ce nouveau pan du roman en mouvement qu’est l’œuvre d’Eduardo Halfon », débute comme le récit d’un enfant. Et le cœur en est constitué par l’épisode traumatisant vécu par « Eduardo » à l’âge de treize ans, lorsque ses parents le renvoient, des États-Unis, où la famille a émigré, au Guatemala, le temps d’un camp d’initiation à la vie sauvage censé en même temps « [le] rapprocher à nouveau du judaïsme », qu’il délaisse. Mais Tarentule est aussi le récit d’un écrivain adulte qui se souvient, et la mémoire en est à nouveau le grand thème, où « les images que nous voyons dans notre enfance » sont « entreposées (…) dans une chambre secrète, protégée à tout jamais du passage du temps ».
Les blocs et la ligne
Halfon, ou son narrateur, dessine ces dédales de la mémoire au gré d’une construction, là encore, fascinante de brio et de complexité. Tout commence, en pleine forêt tropicale, par les rituels du camp, notamment les tours de garde nocturnes qui réunissent le jeune Eduardo et une Regina de quinze ans, au pied du drapeau israélien. Puis, bond dans l’espace et le temps : invité à Paris pour y parler d’un de ses livres, l’Eduardo adulte y retrouve Regina, avec qui il égrène les souvenirs dans un café près de l’Odéon. Retour tout aussi soudain au camp, pour la journée de cauchemar qui a vu les animateurs, portant uniformes noirs et brassards à croix gammée (la « tarentule » du titre), faire subir aux enfants mille humiliations et sévices. Laquelle journée se termine par l’évasion du narrateur, qui s’enfuit dans la forêt. Nouveau changement de décor : rentré à Berlin, le même narrateur, adulte, ayant retrouvé grâce à Regina la trace de l’ancien chef du fameux camp, un certain Samuel, passe une soirée avec lui dans un bordel thaïlandais à l’ambiance digne d’un James Bond. Nouvelle plongée dans la forêt, où l’Eduardo de jadis tombe sur deux guérilleros. Retour au bordel pour certaines révélations, concernant notamment l’appartenance de Samuel au « Bita’horn », « le service secret de sécurité et de renseignement des communautés juives ». Enfin, dénouement de l’aventure dans la jungle, dont nous ne dirons rien.
Cependant ce résumé simplifie tout. En fait, chaque chapitre multiplie les boucles temporelles, et il sera aussi question de l’Instamatic du petit Eduardo, de l’enterrement de son grand-père, d’un club de golf « interdit aux chiens et aux juifs »… Deux principes narratifs apparemment antithétiques se combinent ici. On distingue une progression linéaire, qui est aussi progression dramatique, et mène, à travers de nombreux éléments de romanesque (la forêt, l’évasion, l’enfant perdu…), à un éclaircissement graduel. En même temps, et tout est dans la virtuosité de cet en même temps, le récit est construit par blocs assemblés / juxtaposés constituant autant de fragments du passé.
La Torah et le Popol-Vuh
Apparaît ainsi, dans le cours de la narration plutôt qu’en arrière-plan, la dualité fondamentale qui structure toute la vie et l’œuvre de l’écrivain guatémaltèque. Rapportant à Regina la question d’un journaliste qui lui a demandé quels étaient « les livres non lus qui avaient le plus influencé [son] travail d’écrivain », Eduardo donne sa réponse : « la Torah et le Popol-Vuh »(2) ; « deux œuvres monumentales qui représentent et définissent les deux piliers sur lesquels est construite » une « maison » que notre homme s’entête, dit-il, depuis l’enfance à fuir mais aussi à chercher.
Le judaïsme et le Guatemala : le narrateur se sent fils d’une tradition qui court très loin dans le passé et passe par son grand-père déporté à Auschwitz, émigré à New York, installé finalement en Amérique latine ; mais la mémoire d’Eduardo, comme celle de Halfon, est également hantée par l’histoire convulsive de son propre pays natal, fui, retrouvé, fui à nouveau, où, nous dit-il, un fragment de son cordon ombilical est enfoui quelque part « dans la rive boueuse » d’un cours d’eau traversant un village guatémaltèque.
Le fil de la paternité, qui parcourt tous les livres de Halfon, unit les deux mémoires et les deux thématiques. Il en est un autre, celui de la violence. La mémoire de la Shoah, celle de la guerre civile qui a ensanglanté longtemps le Guatemala se croisent dans l’incroyable épisode raconté dans Tarentule, où « un faux camp de concentration nazi » est créé au fond de la jungle guatémaltèque dans le but d’avertir et d’endurcir les jeunes juifs – « pédagogie noire et toxique » qui suscitera l’effarement de certains parents et la menace de poursuites.
« Réalité et fiction » mêlées, comme le suggère encore le communiqué de presse ? Disons que des événements sans doute réels nous sont racontés comme on le ferait de ceux d’un roman – en témoignent l’atmosphère hallucinée et l’intensité de chaque scène. Par ce procédé, qui correspond exactement à la définition de l’autofiction, il s’agit de ressaisir un autre fil, toujours fuyant : celui de l’identité. Construire un récit qui soit à l’image d’une existence vécue dans l’après-coup de deux tragédies, et ballotée par cette double onde de choc… Ne pas domestiquer cette onde, mais la faire ressentir. Eduardo Halfon ne cherche pas à déplier et mettre à plat les méandres de la mémoire : il nous y entraîne pour s’y perdre avec nous, comme l’enfant dans la jungle tropicale – à la recherche d’une vérité plus vraie que celle du simple souvenir.
P. A.
(1) Voir ici
(2) Texte mythologique maya rédigé en langue quiché au XVIe siècle
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Il n’y aura pas de sang versé (1) racontait le mouvement de grève des ouvrières lyonnaises du XIXe siècle refusant de se laisser enfermer dans leur condition. Dans Le Neveu d’Anchise (2), il y avait un garçon qui courait dans les collines. Ce livre-ci commence aussi sous le signe du mouvement : celui d’une silhouette « très petite, de loin, à l’assaut de la pente », dans « l’après-midi étincelant du mois de janvier », dont « la brillance » tend à l’« incandescence »… Sous le signe du mouvement, et de la lumière.
« Le murmure la remue »
Cette fois, c’est une fille qui court. Elle s’appelle Emma et semble avoir été « pourvue à la naissance de petites ailes vissées aux tendons d’Achille ». Emma « n’a jamais vraiment eu le goût de la compétition », elle « ne cour[t] pas relativement, mais absolument », « de tout son cœur ». Au hasard de ses entraînements, elle rencontre le fils Goiran. Il l’invite à aller le voir chez lui. Là, le chien du père Goiran « se jette sur elle » et « l’attrape à la jambe ».
Le chien lui a broyé la fibula, « du latin fibule, agrafe, péroné dans l’ancienne nomenclature ». Et, conséquence d’un plâtre mal posé, le « syndrome des loges » vient encore aggraver les choses. Emma ne courra plus. Mais elle ne reste pas pour autant immobile : elle compose en esprit « des petites chansons, des cantilènes, des incantations (…) qui la raccordent au monde » et accompagnent une étrange danse invisible. « Le murmure lui vient de la plante des pieds, il la chatouille un peu (…), le murmure la remue ». Le mouvement en elle refuse d’abdiquer, et finira par l’emporter loin du « village où il fut si joyeux de courir ».
« On ne voit qu’elle »
La lumière, elle, est omniprésente, dans cette campagne de l’arrière-pays niçois, que Maryline Desbiolles connaît bien. Dans l’éclat des après-midi on ne peut pas ne pas voir Emma, avec « sa jambe massacrée » : « On ne voit qu’elle », même si « on fait mine de ne pas la voir ». Emma et la lumière semblent aller de conserve et, à l’accompagner, le lecteur voit l’intrigue s’éclairer peu à peu en se développant, révélant des arrière-plans d’abord insoupçonnés. Le chien du père Goiran « n’aim[ait] pas les Arabes ». Dans un vallon proche du village, une stèle rappelle que « 30 familles de harkis » vécurent dans un camp dont subsiste une baraque-témoin. C’est là que les grands-parents d’Emma, son oncle, Akim, rebaptisé Jean-Pierre, et sa mère, Francine, ont grandi. Francine épousera le fils du garagiste, Jean-Pierre sera un temps le meilleur ami du futur père Goiran, communiant avec lui dans le culte de Frank Zappa. Drôle de village, en fin de compte, où, une nuit d’octobre, un inconnu sera attaqué par les chiens et leurs « jeunes maîtres », qui le « tabasseront si bien qu’il mourra deux jours après à l’hôpital ».
« Territoire heurté »
« Il ne faut pas compter que tout s’emboîte un peu trop bien (...). Il faut tenir aux bribes, manques, mots écorchés ». Par bribes apparaissent un peu des secrets, des non-dits, tout ce qui était tu. Trahir, comme les harkis, c’est à la fois « être infidèle et révéler ». Le mouvement du corps d’Emma accompagne l’enchaînement des révélations successives, et l’écriture mime ce mouvement qui est en même temps dévoilement. Ou si c’était l’inverse ?... Phrases qui s’emballent, reprises et jeux de sonorités venant toujours relancer le rythme, le texte est emporté dans une course alternativement fluide et saccadée, tandis que les éléments de la fiction semblent surgir à chaque fois d’un nouveau détour du chemin. Le mouvement du corps se répercute dans le récit et dans l’écriture qui le porte, ou, plutôt, l’héroïne en mouvement, l’écriture et le récit lui-même font corps, indissociables, imposant un sentiment d’évidence d’où naît, évidente à son tour, l’émotion – au-delà de l’attendrissement et de la morale, de la sociologie et de l’idéologie.
L’œuvre de Maryline Desbiolles est politique, pas idéologique. Dans ce texte en particulier rôde un curieux fantôme d’oralité : « Elle ne cache pas sa jambe massacrée, mais on dit qu’elle la montre, qu’elle nous la met sous le nez, on le dit sans le dire (…). On trouve carrément qu’elle exagère »… Un on, un nous, une voix collective est là, s’absente, revient, n’empêche pas les incursions dans les pensées d’Emma, par rapport à qui nous restons pourtant maintenus en permanence dans une forme d’extériorité. Entre l’individu et le social, entre les uns et l’autre, le texte dessine un espace instable et fragmenté, un « territoire heurté » où on ne peut se déplacer, comme l’héroïne, que « d’une manière saccadée, capricante ». Le corps claudiquant d’Emma y prend des allures d’allégorie : « tout cassé », mais toujours en marche.
P. A.
(1) Sabine Wespieser, 2023, voir ici
(2) Seuil, 2021, voir ici
Illustration : Jeune fille en train de courir, Grèce, vers 520-500 avant J.-C.
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Le Prix Nobel 2003, à quatre-vingt-quatre ans, raconte une histoire classique dans la littérature japonaise (1), moins en Occident : l’histoire de la jeune femme et du vieux monsieur. Il est vrai que Beatriz n’est pas tout à fait une jeune femme. Quadragénaire, mariée à un homme avec qui elle a vécu « une passion dévorante » à présent « envolée », elle est mère de deux fils adultes. Elle s’occupe, en mécène, d’art, surtout de musique. À Barcelone, où elle vit, elle organise la venue d’un pianiste polonais de soixante-douze ans, Witold. C’est lui le vieux monsieur. Il ne tarde pas à déclarer sa flamme à celle qui est pour lui une nouvelle Béatrice digne de celle de Dante.
« Alors quoi ? »
Et elle ?... Elle le trouve « problématique », « d’une opacité troublante ». Elle ne cesse de s’interroger sur ses motivations, ses vrais désirs, voire de l’accabler in petto de sa pitié et de ses sarcasmes avec une insistance qui n’est que l’autre expression de sa perplexité. Pourtant c’est surtout elle qui a un comportement étrange… Tout en se répétant qu’« il ne compt[e] pas », elle lui écrit, l’invite à Majorque dans la maison de famille, offre de lui couper les cheveux (« un acte étonnamment intime »), finit par lui ouvrir son lit à plusieurs reprises. Ensuite de quoi elle le renvoie assez brusquement. Pourtant, après sa mort, elle se rendra à Varsovie pour y récupérer des poèmes qu’il lui a dédiés et qu’elle fera traduire du polonais en espagnol, sa langue à elle.
En fait, les désirs du Polonais (« Je souhaite vivre avec vous jusqu’à ce que je meure ») sont assez clairs pour le lecteur. C’est la femme qui est mystérieuse. Et ce mystère est programmé par le dispositif narratif. Nous avons uniquement le point de vue de Beatriz. Cependant, dans ce récit à la troisième personne, il y a bien un narrateur, et l’auteur, par quelques phrases énigmatiques lâchées çà et là, ne manque pas de rappeler son existence : « La femme est la première à lui donner du mal, suivie peu après par l’homme » ; « D’où viennent-ils, le pianiste polonais (…) et la femme élégante (…) ? Toute l’année, ils ont frappé à la porte (…). Leur heure est-elle enfin venue ? » À la vision de l’héroïne vient ainsi se superposer une instance narrative qu’on ne peut s’empêcher d’imaginer, à l’instar de l’auteur réel, masculine et âgée. Du coup, c’est le mystère féminin qui s’exprime.
Le mystère pense, et il pense que le mystère, c’est l’autre. Le roman est fait tout entier des interrogations, des hypothèses, des incompréhensions de Beatriz devant celui qui accumule à ses yeux les signes d’étrangeté : une autre langue, un pays lointain et différent, un autre langage, la musique, pratiquée de surcroît de manière singulière – le Chopin de Witold, « loin d’être romantique, est plutôt austère, un Chopin héritier de Bach »… Cependant la vraie raison pour laquelle le pianiste apparaît si déconcertant à celle qu’il aime se révèle, clairement, assez tard dans le récit. Witold avait déjà offert à Beatriz une rose sculptée dans le bois ; dans un de ses poèmes posthumes, voilà qu’il dit avoir « trouvé la rose parfaite entre les jambes d’une certaine femme ». Commentaire de Beatriz : « Ça n’a rien d’une rose, à dire vrai, rien d’une fleur ; alors quoi ? »
Le squelette et la rose
Ce ça et ce quoi ? éclairent bien des choses : Beatriz trouve Witold mystérieux parce qu’il lui renvoie son mystère à elle. S’interroger sur lui, pour elle, c’est aussi s’interroger sur elle-même : « Que veut-il ? Et elle, que veut-elle ? » ; « Pourquoi l’a-t-elle fait venir ici ? Qu’est-ce qui peut bien lui plaire chez lui ? Il y a une réponse : le plaisir manifeste qu’elle lui procure ». Elle s’interroge sur le désir qu’elle suscite chez le Polonais, et, à travers elle, le narrateur s’interroge sur la cause du désir féminin, voire, au-delà, du désir tout court (« Qu’est-ce que Marie pleine de grâce avait de si particulier pour que Dieu décide de la visiter en pleine nuit ? »). Tout l’art étant ici de poser cette question à travers un récit écrit dans une langue dépouillée à l’extrême, sur un ton détaché et empreint d’humour froid, à l’image en somme de Witold jouant Chopin.
Est-ce pourtant seulement de désir qu’il s’agit ? À dire vrai, le mystère qui, pour Beatriz, s’attache à Witold prend aussi une autre forme, même si c’est toujours sans doute le même mystère. « Elle se souvient (…) du contact de sa main (…), du contact de ses lèvres (…). Une impression d’être touchée par des os desséchés. Un squelette vivant. Elle frémit »… Elle est la rose, il est la mort. Il lui parle par-delà la mort dans ses poèmes. Et elle continue de le sonder et de le questionner par-delà la mort dans des lettres qu’elle lui écrit après qu’il a disparu, et qui closent le livre. Chacun d’eux poursuit un objet insaisissable où se concentre, manque ou mort, ce qui excède la pensée et les mots. Masculine et féminine, leurs quêtes s’imbriquent et s’opposent, formant un nœud inextricable. Le grand écrivain sud-africain parvient, mystère de plus, à les lier dans une histoire simple et d’une vertigineuse transparence.
P. A.
(1) Voir par exemple Tanizaki, Mémoires d’un vieux fou, ou Kawabata, Les Belles Endormies…
Illustration : Hokusaï, Courtisane, 1826, détail
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Après ça, Eliot Ruffel (L’Olivier)
Ce premier roman d’un auteur de vingt-quatre ans raconte une ville en été, l’amitié, l’adolescence et la difficulté de devenir un homme. Dans une langue faussement orale et réellement hypnotique.
Pour lire l’article, cliquez ici.
Voir aussi l'entretien accordé à ce blog par Eliot Ruffel
Il neige sur le pianiste, Claudie Hunzinger (Grasset)
Aux limites du roman et de la poésie, Claudie Hunzinger poursuit sa magnifique réflexion sur les limites entre monde sauvage et univers humain, langage articulé et, ici, musique…
Pour lire l’article, cliquez ici.
Les Mains pleines, Guillaume Collet (Bourgois)
« Petit-Fils » est chargé par « Famille » de voler au secours de « Grande-Mère » et « Grand-Père », seuls dans « Grande-Maison ». Le jeune auteur des Yeux de travers confirme son talent pour dire sans bavardage, par la grâce d’une écriture haletante et drôle, le corps, la famille, les choses, le grand âge…
Pour lire l’article, cliquez ici.
Voir aussi l'entretien accordé à ce blog par Guillaume Collet
Saison toxique pour les fœtus, Vera Bogdanova, traduit du russe par Laurence Foulon (Actes Sud)
Ilia et Jénia s’aiment depuis l’adolescence. Mais ils sont cousins et vivent dans la Russie actuelle… Un beau roman d’amour au temps du capitalisme sauvage et du machisme généralisé.
Pour lire l’article, cliquez ici.
Junil, Joan-Lluis Lluis, traduit du catalan par Juliette Lermerle (Les Argonautes)
Un esclave-libraire, un esclave-bibliothécaire et une jeune lectrice d’Ovide errent aux confins de l’Empire romain, en quête de liberté et à la recherche d’eux-mêmes. Une fable faussement historique et érudite, qui est aussi un hymne à la littérature.
Pour lire l’article, cliquez ici.
Le ciel était vide, Inge Schilperoord, traduit du néerlandais par Françoise Antoine (Belfond)
L’auteure de La Tanche raconte la fascination d’une jeune Néerlandaise d’aujourd’hui pour l’islamisme. Adolescence, désirs, image du père et quête de Dieu se mêlent dans un savant et subtil clair-obscur.
Pour lire l’article, cliquez ici.
Le Champ, Josef Winkler, traduit de l’allemand par Bernard Banoun (Verdier)
Dans le champ que cultive le père, un criminel nazi a été enseveli… L’écrivain autrichien poursuit, en un génial ressassement, le portrait de son enfance dans un pays en proie au passé.
Pour lire l’article, cliquez ici.
Raymond Roussel-Marcel Duchamp, Enquête sur une gémellité, Philippe Lapierre (Les Impressions Nouvelles)
Partant de l’hypothèse d’une parenté profonde entre l’écrivain excentrique et le plasticien d'avant-garde, Philippe Lapierre construit un livre singulier, dont les illustrations accentuent encore la loufoque et authentique profondeur.
Pour lire l’article, cliquez ici.
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Il est aussi scénariste, et a contribué à créer à Saint-Étienne un festival de courts-métrages, Nouveaux rêves, dont la première édition a eu lieu en 2022 (voir ici).
La même année, à trente et un ans, Guillaume Collet publiait aux Avrils un premier roman, Les Yeux de travers (voir ici). Je ne sais plus pourquoi j’avais renoncé alors à lui demander un entretien. Mais, cette rentrée, avec la parution des Mains pleines chez Bourgois (voir ici), l’hésitation n’était plus de mise… Je devais rencontrer un auteur qui, pour dire la violence des rapports entre l’individu et la famille ou la société, se fie à ce point à l’écriture et à la construction du récit en tant que telles. Guillaume Collet a aimablement accepté.
Comment en êtes-vous venu à écrire ?
J’ai toujours eu envie d’écrire des histoires. Pendant longtemps je ne savais pas très bien sous quelle forme, BD, films… C’est vers la fin de l’adolescence que mon désir s’est fixé sur la littérature. Mais comme je suis dyslexique et dysorthographique, on me disait que je ne pourrais jamais devenir écrivain. Plus ou me disait ça, plus je m’entêtais, par esprit de contradiction. Cette impossibilité qu’on m’opposait m’a en fait aidé à persister, sans jamais remettre en cause mon projet. J’ai passé un bac littéraire puis j’ai fait des études de lettres modernes et de cinéma, tout en écrivant des choses qui pendant longtemps restaient inabouties. Puis…
Comment écrivez-vous ?
Si ce livre-ci (Les Mains pleines, ndlr) est composé de chapitres assez courts, c’est parce que j’ai compris que je devais les calibrer en tenant compte de ma durée maximale de concentration. Plutôt que de m’imposer un temps long arbitraire, j’écrivais aussi longtemps que je pouvais rester concentré sur le texte, après quoi j’allais me promener ou je faisais autre chose, je jouais à des jeux vidéo… De même, ma dyslexie m’a conduit à faire des phrases courtes, parce que j’arrive plus facilement à les corriger. J’aime mettre ainsi mes récits dans une forme d’urgence.
Je prends d’abord beaucoup de notes sur de grandes feuilles blanches, jusqu’à ce que je sente qu’il est temps de passer à l’écriture proprement dite. Et, de façon générale, je fractionne beaucoup. Je pars de fragments très courts, que je développe peu à peu, en travaillant parfois d’abord sur des éléments très précis, les couleurs, les gestes… Je me concentre, le temps d’une séance de travail, sur des détails de ce type, puis je remets tout ça ensemble et je le fonds dans le corps du texte.
Écrire, est-ce pour vous un travail ?
Si on parle d’une activité dont je pourrais vivre, pas encore, même si j’œuvre pour que ce soit le cas et que je ne désespère pas d’y parvenir un jour.
Mais, en tout cas, c’est du travail. Je crois que l’essentiel est de trouver sa façon personnelle de l’accomplir. De plus en plus, j’ai le sentiment de savoir ce que c’est que de s’asseoir devant la table et d’y rester à réfléchir, de revenir sans cesse au texte, etc.
Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez proche ?
Je n’ai pas une culture littéraire très contemporaine. J’ai beaucoup lu des auteurs plus anciens. Il y a des postures d’auteur que j’aime… J’ai découvert par exemple Antoine Volodine, et j’aime beaucoup sa manière de se situer aux confins de la science-fiction, du poème et du récit littéraire ; sa volonté, aussi, de créer un courant, une catégorie littéraire nouvelle, ce qu’il appelle le post-exotisme.
L’Or, de Cendrars, m’a également marqué : j’admire la façon dont il parvient à concentrer en 90 pages une histoire aussi longue et complexe. Un peu pour les mêmes raisons, j’aime Le drap, de Ravey, ou bien Journal du dehors, d'Annie Ernaux : une façon de se coller à un sujet, de ne pas le lâcher, et de résister à la tentation de trop parler. Je pourrais encore citer Gracq, ou le Journal d’un curé de campagne, de Bernanos, Le Pornographe, de Gombrowicz..
J’ai ce que j’appelle des lubies, qui m’accompagnent pendant que j’écris : une phrase de Tristan Tzara, des fragments des Djinns, de Hugo… des choses qui flottent là, quelque part. Et je pense souvent aux silhouettes chez le peintre Francis Bacon. Les scènes d'Edward Hopper aussi me viennent en tête quand je cherche, simples, évocatrices, colorées. Globalement, j'aime la façon de travailler des plasticiens, l'idée d'être en contact avec une matière. Je fantasme un rapport similaire avec la phrase.
Sauf erreur de ma part, aucun de vos deux livres n’est sous-titré roman. Pourquoi ?
Ce n’est pas un choix qui vient de moi. À mes yeux, il va de soi qu’il s’agit de romans, même si les deux livres sont inspirés de choses que j’ai vécues, parce que j’aime partir de sujets très réels, très concrets, et construire une langue à partir de là.
On tourne un film dans la ville des Yeux de travers. Le héros des Mains pleines est cascadeur. Quel rôle le cinéma, qui est votre autre activité, joue-t-il dans votre rapport à l’écriture ?
Comme je l’ai dit, j’ai voulu très jeune être romancier. Plus tard, j’ai eu l’ambition de devenir scénariste, j’ai fait des études pour cela, j’ai vu beaucoup de films… Dans mes romans je rends hommage à tout cet univers qui m’a nourri.
Par ailleurs un scénario est un outil de travail pour une équipe de cinéma, ça n’a rien à voir avec la littérature. Mais en en écrivant j’ai pris l’habitude de faire prédominer les verbes d’action, d’être toujours dans l’action, dans le moment… C’est quelque chose que j’ai conservé dans l’écriture de mes livres. Dans le premier (Les Yeux de travers, ndlr), j’ai aussi tenté des superpositions de visions qui sont comme des espèces de fondus enchaînés littéraires…
De façon générale, je pense que la littérature n’est pas tout, et qu’il y a différentes manières d’explorer le monde. On peut faire communiquer les arts, sans pour autant que les romans se mettent par exemple à ressembler à des films ou à des séries télévisées.
Le corps, les choses, l’imbrication de l’un et des autres semblent être au cœur de vos deux fictions. Cherchez-vous à peindre une société où l’humain est prisonnier du monde matériel ?
Prisonnier, pas forcément… En fait, j’essaie de gommer autant que possible le discours et la posture. Quand j’étais veilleur de nuit, je devais tous les jours sortir une poubelle. Ça impliquait des sensations très précises, des odeurs, des contacts…, et je me disais que si je voulais parler de cette nécessité de sortir des poubelles il faudrait que ce soit à partir de ces perceptions. Je raconte ce que j’arrive à toucher, à voir, à sentir, parce que, là, je suis sûr de ne pas me tromper. J’essaie d’écrire toujours à hauteur de sensation, dans une impression d’immédiateté, d’urgence… Si les émotions doivent émerger, ce sera là.
Si j’avais raconté plus précisément, avec plus de détails, la vie de mes grands-parents, en expliquant d’où ils venaient, etc., je crois que, paradoxalement, les personnages (des Mains pleines, ndlr) auraient été moins humains. Plutôt que d’essayer d’adopter ainsi un point de vue très large sur toute une vie, j’ai préféré restreindre et styliser, en me fondant sur le physique, le corps. J’ai aussi voulu montrer que dans la vieillesse il y a une forme d’énergie physique.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
J’ai des systèmes… Puisque j’ai écrit un premier livre sur le travail, et un deuxième sur la famille, je me suis dit que le troisième, qui est en cours d’écriture, porterait sur la sensation que produisait le fait d’appartenir à une patrie. Évidemment, il ne s’agit pas d’adhérer à ces notions ! Mais de s’interroger sur l’effet que cela fait, dans notre corps, de faire par exemple partie de quelque chose comme une patrie.
Là, je suis en phase d’accumulation et d’interrogation. J’ai longtemps eu peur de ne jamais arriver à raconter mes grands-parents, comme je l’ai fait dans Les Mains pleines. J’ai les mêmes incertitudes en ce moment avec ce nouveau projet. On n’est pas dans des zones de confort, on explore des moments où on s’est senti mal et c’est difficile. Mais ce sont ces hésitations et ces difficultés qui créent une tension grâce à laquelle on continue…
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