• lepetitsouk.fr.jpg Pourquoi aime-t-on les récits de guerre ? Batailles, uniformes, fraternité des armes, qui ne s’exalte à les entendre évoquer. L’enthousiasme légèrement frénétique suscité par le dernier prix Goncourt ne fait si j’ai bien compris que confirmer mon propos. Car qu’il s’agisse de dénonciation ou d’éloge ne change pas grand-chose à la fascination.

     

    On me dit que c’est une fascination masculine, qu’on l’instille aux garçons dès l’enfance. Moi pourtant à cet âge-là mes passions allaient alternativement au Moyen Âge et au western, les vraies guerres, récentes, menaçantes, celles qui pouvaient se produire, je n’y songeais pas beaucoup pendant les longs après-midi d’hiver que je passais à caresser des rêves de tournois de lances d’épées froissées et de masses d’armes, ou alors de colts pétaradant à tout va dans des déserts rouges ponctués de cactus en forme de chandeliers.

     

    Il est vrai aussi que les guerres contemporaines étaient, en tant que thèmes de jeu, considérées avec réprobation dans ma famille. On ne plaisantait pas avec ces choses-là. La lame qui s’enfonce dans les intestins du félon, le colon scalpé, le desperado qui s’écroule criblé de balles, soit. Mais la mitraillette le napalm et l’orgue de Staline pas question.

     

    En revanche les récits que faisaient devant moi ceux qui s’étaient battus pour de bon pendant le dernier conflit (il y en avait encore pas mal à l’époque dont je vous parle) me captivaient. On me donnait le droit de rester au salon plus tard que d’habitude pour les entendre (on ne joue pas avec ça mais il y a des choses qu’il faut savoir). Je me suis moi-même souvent imaginé en train de faire de tels récits, retour du front, las, buriné, éventuellement couturé mais toujours vivant. Je n’imaginais pas les événements mais leur récit. Est-ce que la guerre serait ce à quoi on ne joue pas mais qui se raconte ? Est-ce qu’elle serait le sujet par excellence, et l’histoire de guerre l’histoire suprême, toutes les autres, amour, drames familiaux, meurtres passionnels et accidents de la circulation, ne constituant que des pis-aller ?

     

    Si tel est le cas les cinq nouvelles de Styron réunies dans À Tombeau ouvert sont le couronnement du genre. Je veux dire qu’elles en exhibent et en défont du même coup le ressort secret.

     

    Un ancien héros se retrouve gardien d’une prison militaire ; un autre, vieillard décati, meurt d’un cancer du poumon devant les témoins de sa grande époque ; des officiers de réserve attendent avec angoisse dans un camp d’entraînement l’embarquement pour la Corée ; un des mêmes, revenu chez son père, tâche d’oublier ce qu’il a vécu… On est toujours avant ou après la bataille, dans le temps du fantasme ou du souvenir, bref, dans le temps du récit.

     

    Seulement ce récit n’a jamais lieu. Les hommes dont il s’agit craignent d’anticiper le cauchemar ou essaient de ne plus y penser. Omniprésente dans les cinq histoires de l’écrivain virginien, qui sait de quoi il parle ou plutôt ce qu’il ne dit pas, la guerre proprement dite y reste toujours à distance, comme un invisible et sinistre horizon. Et le plaisir qu’on prend à l’écouter narrer d’habitude, privé ici d’un objet rendu ainsi à son horreur, apparaît comme ce qu’il est : plaisir des histoires, dont on sait bien que les écouter est la meilleure garantie sur le moment au moins pour ne pas vivre ce qu’elles racontent.

     

    La complaisance morbide ainsi déjouée, reste ce qui est en fait le vrai sujet de Styron : la peur. Elle a rarement à ma connaissance occupé une telle place. Sans grandiloquence ni adjectifs, elle imprègne le livre du début à la fin. Le sous-titre : « Cinq histoires du corps des Marines », prend un double sens ironique. Car tous ces combattants rêvent aussi de gloire. Pris entre le glorieux corps des Marines, tout bruissant d’histoires fabuleuses, et leur pauvre corps de Marines, qui transpire plus que de raison en attendant ou en se rappelant l’enfer, ils tâchent de faire comme ils peuvent. Dans ce comme-ils-peuvent réside la nostalgie tragique du livre de Styron.

     

    P. A.

     

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  • Le Carnaval de Bâle (Pierre Ahnne)Je ne suis jamais allé au Carnaval de Bâle. Et je ne m’y rendrai vraisemblablement plus jamais, j’ai fini par accepter l’idée que je n’aime pas les fêtes, la foule, la liesse et l’excès dionysiaque. À l’époque je n’aurais avoué pour rien au monde que je n’étais pas très porté sur Dionysos, ...

     

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  • Patrick Boman est né en 1948 à Stockholm. Écrivain prolifique, il est l’auteur de nombreux récits de voyage (Thé de bœuf, radis de cheval, Le Serpent à Plumes 1999, Retour en Inde, Arléa 2009, Cœur d’acier, Arléa 2011…) et de différents ouvrages, dont un Dictionnaire de la pluie (Seuil, 2007), Nicaragua, boulevard de la flibuste (Ginkgo 2007)... Il est aussi le créateur de la série policière des Peabody, publiée notamment chez Picquier et qui vient de repartir ces jours-ci à l’enseigne de Sous la Cape.

    Qu’il s’agisse de l’Inde ou de la Haute-Marne, il porte sur le monde un regard où la distance ironique se mêle étrangement à l’empathie. Son ton sait allier la truculence à un art de la notation qui confine parfois au haïku.

     

     

    Entretien avec Patrick Boman

     

     

    Nous retrouvons Patrick Boman dans un restaurant chinois bien connu du quartier de Belleville. À l’heure où l’on dépose devant le convive ces tasses au fond desquelles oscillent des créatures aux charmes peu distincts, nous lui posons nos questions habituelles et quelques autres.

     

    Comment en êtes-vous venu à écrire ?

    Disons qu’à une époque de ma vie où j’allais très mal, où je me sentais totalement incompétent dans tous les domaines et où autour de moi se pavanaient militants de tout poil, pseudo-artisans d’art, jongleurs et mimes,  bref à voir « s’accomplir » ces gens dont beaucoup me paraissaient franchement idiots en plus d’être incultes, je me suis dit que j’avais envie, moi, de raconter des histoires. Et que j’irais peut-être un peu moins mal. L’écriture est pour moi foncièrement une thérapie.

     

    Comment écrivez-vous ?

    Autant que possible, vêtu et sobre.

     

    Écrire, est-ce pour vous un travail ?

    Vaste débat ! Plutôt oui, par ce que cela demande de temps, pour l’écriture elle-même et parfois pour des recherches, de solitude, de réécritures sans fin. Quand quelqu’un me dit : « Tiens, lis ça, j’ai vraiment pris mon pied en l’écrivant », j’éprouve la plus vive méfiance.

    A contrario quand j’entends parler avec emphase du « travail d’écriture » j’ai l’impression de me trouver face à des faux gourous, de misérables charlatans. Et dans ce domaine la pénurie ne menace pas.

     

    Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez proche ?

    Si vous me demandiez de qui je me sens éloigné chez les vivants, et pourquoi, ce serait plus drôle, mais les actions en justice pleuvraient ! Bon, comme je la sentais venir, j’avais préparé ma liste, donc, par ordre alphabétique, ceux dont je me sens très proche : Ivo Andric, Aloysius Bertrand, Borges, tout Bouvier, Stig Dagerman, « Dosto' », le premier Ellroy, Flaubert, saint Grégoire de Narek, David Grossman, Dashiel Hammett, Chester Himes, Omar Khayyam, Melville, l’abbé Mugnier, Patrick O’Brian, Flannery O’Connor, Lorenzo Pestelli, Rabelais depuis ma jeunesse, Roth (il n’en existe qu’un : Joseph), San-Antonio, Shakespeare plus que jamais pour la trinité sexe-argent-pouvoir, Soljenitsyne (sauf La Roue rouge !), Soseki, Tolstoï toujours. Et tant d’autres. Vous remarquez, sauf Ellroy, « Son tutti morti ! ».

     

    Vous avez écrit des récits de voyage, mais aussi un long récit historique, de nombreuses nouvelles, des romans policiers, fantastiques (de vampires), de science-fiction… Y a-t-il pour vous une hiérarchie entre ces différents genres littéraires ?

    Le mot « hiérarchie » n’est-il pas banni par la bien-pensance qui nous cerne ? Fi, messieurs ! Voulez-vous que je saisisse la Halde ? Non, je n’établis pas de hiérarchie par exemple entre la littérature et ce qui serait le reste, etc., cependant j’ai une grande tendresse pour les « mauvais genres », et le roman dit à l’eau de rose et le « petit roman bien parisien » ne sont pas placés très haut dans mon estime. Disons surtout que j'adore explorer des genres différents, puisque j'ai aussi écrit du théâtre, de la poésie, des textes sur la typo, etc., que j'ai intercalé des morceaux d'un roman de marine dans un polar et qu'il serait temps que je ponde un roman de cape et d'épée ! Et bien sûr, je ne lis jamais de nouveautés.

     

    Dans vos récits de voyage il y a une part d’analyse, mais avant tout une grande part de description ou d’évocation des lieux. Pensez-vous qu’on puisse fixer la réalité par les mots ?

    Ah que oui. Sinon je serais photographe, j’écrirais de la musique ou j’aquarelliserais  – sous la pluie de préférence, pour renforcer le sentiment de la fugacité de toutes choses. Sérieusement, oui je tente de « fixer la réalité », le temps qui s'enfuit, en y croyant pas mal (la lecture ressuscite le temps, donc il n'y a pas là d'imposture je pense), sans tomber dans le proustien de comptoir. Le vrai problème pour moi est ailleurs : quand l'écriture parasite le temps de la « vraie vie », par exemple en voyage, quand je ne puis noter au fil du temps ou plutôt dans sa course, « Im Lauf der Zeit », comme dit Wenders,  tout ce que je vois puisque par définition quand j'écris je ne vois plus rien ! Sentiment de vivre en différé la vie amoindrie du plumitif... Mais les aventuriers velus en gilet multipoches baisant le... les pieds de leur sponsor ne m'inspirent pas la moindre envie, vous vous en doutez.

     

    Peabody, le héros de votre série policière, ne ressemble pas à l’image « classique » du détective. Comment l’idée de ce personnage vous est-elle venue ?

    Je vais redire ce que j’ai déjà dit : telle la Vierge à Bernadette de Lourdes, il m’est apparu un jour, gros, vieux, chauve, libidineux, fumant un cigare puant, engueulant les suspects en hindoustani, bref insurpassable ! Je me permets de souligner qu'il est incorruptible et quasi abstème, ce dernier point étant une grave entorse aux lois du genre.

     

    Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

    Je termine un projet modeste, en l’occurrence un mince recueil de nouvelles. Et je flaire des pistes, la truffe au ras du sol. Mais il se fait tard et ces honorables fils du Ciel cognent mine de rien le balai contre nos chaises, indiquant sans doute par là que nous encombrons. Si nous étions à Valparaíso, je vous proposerais, gentlemen, d’aller boire le dernier verre au Restaurant suédois, un authentique bistrot à clochards – un genre qu’on rencontre plus souvent dans la littérature, d’Eugène Sue à Steinbeck, que dans la vie.

     

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  • www.musees.strasbourg.jpg On dit « billet d’humeur » ça ne veut pas forcément dire mauvaise humeur. Ce qui dicte le billet ce peut être par exemple la perplexité de voir que tel auteur, même bien connu, n’est pas forcément lu autant qu’il le devrait. L’envie de comprendre pourquoi on croit qu’il le devrait. On n’aime pas on n’a pas à se poser de questions, ce qui déplaît saute aux yeux tout de suite, quand on aime c’est plus difficile. On dit j’aime Ramuz au fond qu’est-ce qu’on veut dire. Le démêler c’est débrouiller du même coup quelque chose de soi. Et si d’autres peuvent tirer de ce débrouillage l’envie de lire de plus près ce qui en fait l’objet, on n’aura pas perdu son temps. Spécialement s’agissant de Ramuz, dont on entend encore ici ou là que « sa véritable vocation » fut « l’étude des mentalités et des coutumes des habitants de son terroir ». Le « renouvellement » du « roman paysan ». Ça nous aurait fait une belle jambe.

     

    Quelqu’un m’a offert Vendanges, publié, comme d’autres textes de Ramuz, par les éditions Séquences, à Rezé, près de Nantes. Ce bref récit autobiographique m’est soudain apparu comme donnant à voir dans son raccourci quelque chose d’essentiel à l’œuvre. D’abord ces souvenirs des vendanges auxquelles participait l’enfant de dix ans semblent appartenir à la littérature du « terroir » dont le Vaudois serait donc un représentant patenté. Puis, peu à peu, à force d’arrêts sur des objets, de grossissements soudains, d’images, le texte, à sa manière tranquille et sans en avoir l’air, déstructure l’univers décrit et le reconstruit autrement. Édifiant un lieu fantastique, le pressoir, fait d’ombres, de lumières et de perceptions éclatées. « Le monde tient tout entier dans le pressoir… mais il tient tout entier partout… car où qu’on se trouve est la plénitude, et c’est qu’on la porte en soi-même ».

     

    Le monde. En ce qui me concerne j’éprouve une certaine réticence vis-à-vis de cette notion revenue en faveur après le déclin du structuralisme et du marxisme. J’ai grand-peur que le monde n’existe que dans l’imagination des personnes, avides de croire qu’au-delà du langage se déploie un tout ordonné dans lequel elles auraient leur place. Il me semble bien que ce qui pointe entre les mots est plutôt du domaine du chaos et de l’effroi. Mais qui suis-je pour avoir un avis sur ces choses. Et ça ne m’empêche pas d’aimer Ramuz, parce que le monde qu’il recrée est un univers de langage, et que son geste sans cesse répété de destruction et de recomposition ébranle la seule réalité à laquelle nous ayons à mon sens accès, celle qui nous apparaît à travers le filtre du langage. Même si lui n’aurait peut-être pas été d’accord là-dessus. Un texte c’est un texte pas les opinions d’un monsieur, il est bon de répéter de temps en temps ce genre de truismes puisqu’il semble qu’ils aient tendance à cesser d’en être.

     

    La violence paisible du geste de Ramuz je la retrouve partout dans l’œuvre. L’éboulement inaugural de Derborence, cette « confusion de tous les éléments où on ne distinguait plus ce qui était bruit de ce qui était mouvement », est emblématique. Les descriptions chez Ramuz font lentement voler en éclats l’objet décrit, c’est-à-dire l’idée qu’on se faisait de la manière de le décrire, pour fabriquer un autre objet, biscornu, étrange, inquiétant, vraiment pas du tout réaliste. Ainsi dans Le Garçon savoyard, curieux roman encore plus méconnu que les autres, ce paysage :

    « Par-dessus les châtaigniers ronds, qui étaient disposés plus bas qu’elle comme beaucoup de ballons prêts à partir, on voyait sur sa droite l’embouchure du Rhône, et le Rhône hors de son embouchure faisait une barre jaune dans l’eau. On voyait la plaine du Rhône plate comme une feuille de papier. On voyait en face de soi les montagnes être carrées ou triangulaires. Dans le haut, elles étaient séparées les unes des autres, mais plus bas étaient réunies, formant ainsi un haut talus où des morceaux de verre, qui étaient les rochers, auraient été plantés tout droits… Et sur toute la pente il y avait les maisons éparses qui étaient comme un vol de pigeons qui se serait abattu pêle-mêle dans le vert des prés ».

     

    Le cadre montagnard avec ses décrochements et ses angles inattendus aide à ces effets de juxtaposition, de diminution et de grossissement, de rupture. Mais le style immédiatement reconnaissable de Ramuz, les ellipses dans le récit, les répétitions dans la phrase, les « et », les « il y a », les fausses maladresses de celui qui soulève et déplace, avec des han de bûcheron serein, de vastes portions de matière, tout tend à cela. Le fameux « on » de Ramuz, les passages du « ils » au « nous », le morcellement de la voix qui en fait un entrelacs de voix mêlées, plutôt que d’orchestrer un improbable chœur rural, affirme au niveau de l’instance narrative le même refus des points fixes et des habitudes rassurantes.

     

    Les récits de Ramuz ne parlent que de ce refus. Dans les endroits les plus paisibles et les plus innocents il y a toujours, comme dans Joie dans le ciel, son plus beau roman si l’on en croit Jacques Chessex, quelqu’un pour aller voir ce qui se passe « de l’autre côté ». C’est en cela que Ramuz touche à la fable ou au mythe. Le diable, chez lui, n’est jamais loin. Et à l’image du soldat de l’Histoire, il se trouve toujours certains hommes pour avoir envie de l’écouter, de traverser l’écran des apparences, et de tout mettre sens dessus dessous. Même quand une fin apparemment heureuse vient in extremis tout remettre en place (« parce qu’il y a un ordre »), leur transgression demeure inscrite dans les mots du grand écrivain suisse.

     

    P. A.

    photo www.musees.strasbourg.jpg

     

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  • www.infobretagne.com.jpg Alain Defossé place son dernier livre sous l’invocation explicite de Modiano, c’est dire assez que la mémoire et l’esprit des lieux y joueront un rôle essentiel.

     

    Les lieux, ici, c’est la province française, une petite ville, Chateaubriant, dont le nom semble une antiphrase. Quand on sait goûter le charme des endroits « sinistrés » on est saisi dès les premières pages par l’art avec lequel Defossé fait surgir ces places et ces rues vides où, le soir, quand « l’arrosage automatique vient de s’arrêter », « des gouttes tombent, sonores, sur le trottoir ». Le narrateur, qui s’appelle aussi Alain, a acheté une maison dans la campagne proche et y séjourne de loin en loin avant de regagner Paris. Ce double décalage l’installe dès le début, par rapport à la ville et à ses habitants, dans une curieuse nostalgie anticipée. Regret originel de ces nuits, de ces bars, de ces rencontres, de ces désirs voués d’emblée à l’inaboutissement, que le jeu du souvenir et de l’écriture redouble. Le roman d’Alain Defossé a beau tourner autour d’un fait divers il ne s’inscrit pas dans la cohorte des récits-réalité qui semblent se multiplier depuis le succès des télés du même nom. C’est d’abord un autoportrait en solitaire, et le crime dont il s’agit en est le centre dans la mesure où son évocation fait surgir les remords, les doutes, les colères d’un narrateur qu’il renvoie à sa propre image.

     

    Car « les campagnes ne sont pas tranquilles, les campagnes ne sont pas paisibles ». Et les chefs-lieux d’arrondissement non plus, surtout quand ils tirent leur seule célébrité d’avoir vu fusiller vingt-sept otages. L’alternance entre les étapes de la soirée fatale (en italique) et la remémoration de ce qui l’a précédée a pour effet de plonger le livre tout entier dans l’atmosphère des tragédies. Les journaux et les télévisions qui raconteront les faits plus tard ne croient sûrement pas si bien dire. « Dans la première fois, tout est toujours en germe », et la tristesse des débuts vient aussi de la certitude que la violence sous-jacente des jours et des nuits doit nécessairement éclater tôt ou tard.

     

    Alain Defossé est également un grand traducteur (Bret Easton Ellis, John King, des œuvres violentes…). Peut-être est-ce pour cela qu’il fait de son narrateur un transfuge, naviguant entre les endroits, traversant les milieux sociaux, attirant les confidences de chacun. Peut-être aussi le besoin d’atteindre un mot juste qui n’existe jamais, une vérité qui se dérobe sans cesse, donne-t-il sa tension à sa phrase nerveuse, souple et semée de virgules. Cette tendance à fouiller toujours plus loin dans les souvenirs, les oublis, les motivations des uns et des autres imprègne l’écriture de Defossé à laquelle elle confère l’urgence du désir. Désir « d’écrire », « de témoigner ». « Désir tout court ».

     

    P. A.

     

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