• Rimbaud, Truffaut, vies poétiques

    Voici deux auteurs qui ont en commun de travailler la biographie sans essayer d’en faire un roman. Ça nous change. Il s’agit plutôt, pour eux, de pousser le genre biographique jusqu’à ses limites, et de faire ainsi apparaître les rapports que peuvent avoir le récit d’une vie avec tous les récits de vie, une vie donnée avec toutes les vies possibles.

     

    www.duomomilano.itRimbaud et la veuve, Edgardo Franzosini, traduit de l’italien par Philippe Di Meo (La Baconnière)

     

    On se souvient que l’écrivain italien a mis au point une méthode singulière, qu’il appliquait dans Monsieur Picassiette (1) et dans Bela Lugosi (2) : au lieu, comme le fait le roman biographique, de tirer la fiction vers la biographie, il conduit (c’est bien plus troublant) la biographie dans les régions où celle-ci touche au fictif. Ici, la méthode est pourtant assez différente… En 1875, année du renoncement à la littérature, Rimbaud, au cours de ses incessantes pérégrinations, passe deux mois à Milan. Il y aurait été recueilli et logé (voire plus) par celle que Verlaine nomme une « vedova molto civile ». On n’en sait pas davantage. On ne sait rien, en fait. Notre auteur ne cesse de le dire : « De la même façon qu’on ignore la durée exacte du séjour (…), on ne connaît pas non plus les raisons exactes… » ; « Nous n’avons aucune idée de la façon… » ; « Les documents (…) sont à peu près inexistants, les témoignages et les comptes-rendus (…) rares (…), vagues, imprécis, insatisfaisants »… Le pari de Franzosini est de tirer de cet épisode quasi hypothétique tout le possible, en se gardant de broder pour compléter comme il le faisait dans les deux autres ouvrages.

     

    Il y parvient grâce à sa technique habituelle, toute en contours, détours, annexes, parenthèses et érudition malicieuse. Explorant en détail la vie à Milan à l’époque où Rimbaud y serait passé, troussant la comédie que fut l’érection d’un buste du poète à Charleville, s’attardant sur les aventures de l’inénarrable Paterne Berrichon, le beau-frère posthume…

     

    À force de pressurer et d’évider ainsi un sujet déjà plus que mince, l’écrivain italien finit par le réduire, avec celle qui en est le centre, à « cette consistance incertaine que seul possède un fantôme ». Il en résulte pourtant un livre. Et peut-être la plus parfaite allégorie de la biographie comme art de l’impossible… Les traces d’une vie, à force d’être scrutées, n’en viennent-elles pas toujours à se brouiller et se perdre ?

     

    François Truffaut en 24 images/seconde, Anne Terral (Médiapop éditions)www.youtube.com

     

    Anne Terral, romancière, auteure de nombreux livres pour la jeunesse, publie un texte qui a fait l’objet d’une création radiophonique sur France Culture en 2018. « Une fiction », dit-elle en préambule. Pourtant elle aussi s’abstient d’inventer. C’est la mémoire qu’elle interroge. La sienne, en tant que spectatrice – dans de rapides descriptions de séquences, telle cette belle évocation de la scène finale des 400 coups. Celle, surtout, qui s’est inscrite dans un des cinémas les plus autobiographiques qui soient : scènes imaginées mais vraisemblables de la vie de Truffaut (« Oui, c’est sûrement ça »), dialogues imaginaires de scènes probables se succèdent en vingt-quatre courts chapitres, qui font eux-mêmes se succéder de courts paragraphes quelquefois proches du verset.

     

    Un usage de la subdivision et de la coupure qu’annonçait déjà le titre, et qui est au principe d’une écriture mimant un cinéma qui répétait lui-même – et maquillait – la vie. Dans ce jeu de miroirs, celle-ci, à nouveau, se prend et se perd.

     

    P. A.

     

    (1) Paru chez JC Lattès en 1998, republié par La Baconnière en 2021, voir ici

    (2) La Baconnière, 2020, voir ici

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