• photo Jean-Pierre Belissent

     

    Ma pièce, La Cantatrice et le Gangster, a été jouée du 19 au 24 novembre dernier au théâtre de l’Île-Saint-Louis, à Paris. Elle était interprétée par Marion Hérold et Markus Fisher.

     

    photo Jean-Pierre Belissent

     

    Celles et ceux qui n’ont pas pu assister à une représentation pourront se faire une idée du spectacle en regardant le petit montage vidéo ci-dessous, réalisé d’après les captations de Jean-Pierre Belissent. Aux autres, il rappellera quelques souvenirs…

     

     

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  • www.etsy.comVoilà un livre, et, peut-être, de plus d’une manière, d’un autre temps. Et c’est ce qui en fait, pour une part, l’intérêt. En octobre 1917, Charles Plisnier a 23 ans. Son enthousiasme fait de ce jeune juriste belge un avocat dévoué à la cause du communisme, doublé d’un « agitateur » (il le dit lui-même) : militantisme effréné et quelques missions dangereuses, à la grande époque du Komintern. Puis, c’est l’exclusion, pour trotskisme, au congrès d’Anvers, en 1928. Dans une œuvre, semble-t-il, bien de son temps (Mariages, Meurtres, La Beauté des laides…), Faux passeports, prix Goncourt 1937, tranche. Pour étoffer et unifier ce qui ressemblait trop à un recueil de nouvelles, l’auteur, à la demande de son éditeur (Buchet-Chastel-Corréa), y ajoute le chapitre final, Iégor, où il évoque Anvers, le conflit entre staliniens et trotskistes, les procès de Moscou, et cet « héroïsme du déshonneur » qui poussait les accusés à s’inventer des crimes parce que le Parti le voulait.

     

    Tragique élégiaque

     

    Malgré Orwell et Victor Serge, ils n’étaient pas si nombreux, à l’époque, les écrivains aussi lucides. Est-ce là pourtant le seul intérêt du livre de Plisnier ? On y parle « de violence, de miséricorde », « de tempes trouées, de charges de cavalerie, de pendaisons », de supplices encore pires subis dans les caves des préfectures. On y rencontre des « héros durs et faibles, partisans, croyants malgré eux à la poursuite d’une lumière qu’ils mourraient plutôt que de nommer, matérialistes familiers avec le martyre et raillant les saints ». Des hommes pour qui « ce qu’on est, ce sont les actes ». Tout ça, c’est sûr, paraîtra assez peu tendance à bien des gens.

     

    On pense, inévitablement, à Malraux, autre prix Goncourt (en 1933), pour un autre roman (La Condition humaine) évoquant lui aussi les combats de la révolution en marche. Mais, ici, pas de développements philosophiques. Des portraits, d’individus aux prises avec une cause qui les habite et les dévore. Le tragique vient de là, mais un tragique étrange, et le narrateur lui-même, dans l’Adieu à [ses] créatures venant clore ce qui se donne comme un livre de souvenirs, s’en étonne : « D’où vient que, pour les évoquer, j’ai pris le ton de l’élégie ? » Peu de scènes de groupe ; la violence, l’horreur, souvent, surgissent par éclairs brefs et toujours obliques. Ça se passe dans de petites chambres où l’on boit du thé, des couloirs d’hôtel, des cafés de faubourg ; dans des villes de passage, Genève, Anvers, Bruxelles, où l’on se replie pour un temps avant de repartir à la lutte là où elle bat son plein : en Italie fasciste, en Allemagne au bord du nazisme, en Europe centrale. Loin de ces fronts, les héros en sursis goûtent « la désolation des matins vides » et la mélancolie des quartiers perdus. À Salzbourg, ils visitent la maison de Mozart. On est au mois d’août, mais il pleut. Un vieux monsieur joue du clavecin…

     

    Des héros et leurs doubles

     

    La plupart d’entre eux récuseraient une tonalité qu’ils diraient teintée de nostalgie petite-bourgeoise. Mais qu’en penseraient-ils ? Car ces porteurs de « faux passeports » sont tous des êtres partagés. Et pas seulement les lâches, qui fascinent tant le narrateur, ni les moines-soldats que leur fidélité absolue au Parti rend doubles. Le divorce intime qui est le sujet central du livre de Plisnier, c’est celui qui s’installe en tout individu pour peu qu’il s’affronte à l’Histoire. Un thème qu’on aura du mal à juger dépassé, et dont le traitement, en tout cas, mérite qu’on s’y arrête.

     

    Car la contradiction que l’écrivain belge scrute et sonde sans complaisance romantique s’exprime d’abord dans la structure de son livre. Non seulement il est fait de fragments refusant de se fondre dans un flux romanesque traditionnel, mais ceux-ci n’en finissent pas de se morceler pour mieux répercuter une fêlure secrète. Il y a l’histoire de Pilar, qui ne peut se déprendre de sa classe ; l’histoire de Ditka la martyre, et de Multi, le lâche, amoureux d’elle ; celle de Carlotta l’intransigeante, qui aime et fait tuer Alessandro, le traître ; celle de Corvelise, spectateur fasciné, mais toujours empêché, de la lutte des classes, qui finit par se sacrifier pour sauver son double héroïque ; il y a, enfin, l’amitié du narrateur et de son double à lui, Iégor, le stalinien sans illusions, épris de sa compagne folle, Daria.

     

    La vision est toujours indirecte, biaisée, démultipliée, sans fin réajustée, dans un effort fiévreux pour saisir le secret de l’héroïsme absolu ou le point, impossible à trouver, où il se réconcilierait avec la tendresse humaine. Plutôt qu’un hymne à la révolution, c’est son tombeau, chaotique et désespéré, qu’a écrit Plisnier en cette fin des années 1930. Des temps si loin de nous, vraiment ?

     

    P. A.

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  • popenstock.ca

     

    « La porte de la salle d’attente s’ouvrit brutalement et les garçons qui étaient restés à la chaleur commencèrent à sortir pour venir à la rencontre du train. De loin, ils paraissaient avoir chacun au moins trois cigarettes allumées dans chaque main. Lane en alluma une lui aussi au moment où le train s’arrêta. Puis, comme beaucoup de gens à qui on ne devrait donner des tickets de quai qu’après un examen sérieux, il essaya de débarrasser son visage de toute expression susceptible de trahir, avec simplicité ou peut-être avec une grande beauté, ses sentiments envers la personne qu’il attendait. »

     

    J. D. Salinger, Franny et Zooey

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  • traezhhatevenn.blogspot.comBien qu’en déclin, le roman biographique ne se porte encore pas trop mal. L’écrivain anglais Rupert Thomson fait ici, si l’on peut dire, d’une pierre deux coups. Quoique… Si c’est bien deux vies qu’il raconte, celles-ci, toujours associées, se sont vouées à l’être au point de n’en former (presque) qu’une. Quand Lucie Schwob et Suzanne Malherbe se rencontrent, elles ont respectivement quatorze et seize ans. Lucie est la nièce de Marcel, et son père dirige un journal nantais. Suzanne, fille d’un grand médecin de la ville, est la lointaine descendante de François. Entre les deux jeunes filles, la passion est pratiquement instantanée. Coup de chance : le père de l’une, divorcé, épousera la mère, devenue veuve, de l’autre. Leur statut de nouvelles demi-sœurs permettra à nos héroïnes de vivre d’abord leur liaison avec la discrétion requise en province dans les années 1930.

     

    Les voilà cependant bientôt à Paris. Lucie devient Claude Cahun, Suzanne se réinvente en Marcel Moore. La première écrit et photographie, la seconde peint, sculpte, colle. Toutes deux fréquentent l’avant-garde artistique et sont proches des surréalistes.

     

    Les gens qu’il faut connaître…

     

    Troisième acte : en 1937, au grand étonnement de leurs amis, elles vont s’installer à Jersey. C’est là que la guerre les surprend. Fidèles à l’esprit libre et poétique de leur jeunesse, elles sèment à travers l’île occupée des tracts défaitistes rédigés en allemand et signés « Le soldat sans nom ». Arrêtées, elles sont condamnées à mort. Mais la France est déjà libérée, Jersey n’est qu’une poche provisoire, dont les occupants ne tiennent pas à aggraver encore leur cas : on renvoie Claude et Marcel, redevenues depuis longtemps Lucie et Suzanne, dans leur grande maison au bord de la mer. Elles y passeront encore quelques heureuses années d’après-guerre, jusqu’à ce que Lucie, en 1954, meure, laissant Suzanne seule jusqu’à sa propre disparition en 1972.

     

    Voilà les vies dont Rupert Thomson écrit le roman, par l’entremise d’une Suzanne / Marcel revoyant son existence avant de la quitter. Roman d’une époque, et quelle époque. L’auteur, par-dessus l’épaule de sa narratrice, fait tout pour la rendre accessible à ceux qui auraient des trous dans leur culture : effets de la Première Guerre mondiale sur l’évolution des mœurs, dadaïsme, surréalisme… les élèves de terminale tireront incontestablement profit de ces fiches bien rédigées. Tout cela centré cependant sur les personnages plus que sur les idées. Claude et Marcel sont là où il faut être et rencontrent les gens qu’il convient de connaître : Michaux, Dali, Crevel, Adrienne Monnier… Les noms propres pleuvent.

     

    En plus, ça tombe bien, les deux amies, longtemps oubliées mais en train, paraît-il, de devenir ce qu’on appelle, je crois, des icônes, ont toutes les idées qu’il est bon d’avoir aujourd’hui : Breton est pontifiant ; Desnos est sympathique ; plus qu’Aragon, qui est un vilain stalinien… Surtout, elles sont irréprochablement modernes côté genre — un mot qu’elles n’ont sûrement jamais employé qu’en son acception la plus grammaticale, et que Thomson met sans cesse dans la bouche de l’une et sous la plume de l’autre, au sens actuel : « C’est quoi, le genre, de toute façon ? », « Ce qui me passionne le plus, c’est votre façon de jouer avec le genre », etc.

     

    L’art des à-côtés

     

    Mais il est vrai que, si elles sont bien de notre temps, elles tranchaient clairement sur le leur. Par leur homosexualité affirmée, bien sûr ; par la liberté de leurs allures, dont témoignent les photos de Claude, crâne et sourcils rasés ; par l’indépendance de leurs vies et de leur vie — à commencer par le retrait dans une île « peu commode et bizarrement farouche » : « une anomalie. Comme nous ».

     

    La belle trouvaille de Rupert Thomson est d’adopter, pour faire parler ces deux  femmes toujours à côté, une écriture faite d’à-côtés elle-même, et qui glisse sans cesse de l’action et des figures vers le décor et l’atmosphère, sur lesquels elle sait s’attarder rêveusement. C’est un après-midi de printemps à Nantes, « au-dehors, la place [est] blanche, décolorée par la lumière du soleil, mais à l’intérieur du café il [fait] obscur et frais » ; Lucie, fantasque, volontiers suicidaire, a disparu, Suzanne la cherche, mais remarque, « sur la table de la cuisine (…) un pot bleu rempli de prunes d’un vert poudreux ». Jusque dans les bureaux de la Gestapo, elle note que « ce [sont] les arcs prononcés de ses narines » qui donnent à son interrogateur « l’air dédaigneux ».

     

    À cela s’ajoute un véritable art du dialogue et de la scène : scènes d’amour, dans ce livre qui est aussi celui d’une passion, ou, plutôt, d’une « reconnaissance », dont deux jeunes filles sentent, au premier regard, « le déclic puissant mais subtil ». Mais aussi scènes quotidiennes. Et les conversations de Suzanne avec un déserteur allemand ou un plombier de Jersey donnent lieu à des pages parmi les plus émouvantes du roman.

     

    Car, oui, alors, on oublie l’époque, les mérites des héroïnes, le souci d’édification, en un mot : la biographie. On se laisse emporter en toute liberté par le roman.

     

    P. A.

     

    Illustration : Claude Cahun et Marcel Moore, Autoportrait, 1928

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  • galeriemarraine.blogspot.com

     

    « Il y a des monstres qui sont très bons,

    Qui s’assoient contre vous les yeux clos de tendresse

    Et sur votre poignet

    Posent leur patte velue. »

     

    Guillevic, Terraqué

     

    illustration : Jérôme Bosch, Le Jardin des délices, détail

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