• Philippe Videlier, aimez-vous parler de vos livres ?

    Pour fêter le dixième anniversaire de mon blog, créé en septembre 2011, j’ai demandé à des écrivains que j’ai rencontrés ou dont j’ai parlé au cours de ces dix années de répondre à une question : « Aimez-vous parler de vos livres ? » Les textes qu’ils m’ont fait l’amitié de m’adresser paraîtront, à raison d’un par semaine, dans l’ordre où ils me sont parvenus.

    Comment dire exactement ce qu’il fait ? On ne peut certainement pas prétendre qu’il romance l’Histoire, encore moins qu’il la réécrit. Qu’il l’écrit, peut-être, comme je l’affirmais à propos de Rome en noir (Gallimard, 2020, voir ici), en ce sens qu’il y fait entrer le roman, formule que j’ai tentée aussi, en parlant de Quatre saisons à l’Hôtel de l’Univers (Gallimard, 2017, voir ici).

    Historien, auteur d’articles et d’ouvrages savants, engagé dans la lutte contre le négationnisme, Philippe Videlier, discrètement, de livre en livre, invente un genre littéraire qu’on a donc du mal à nommer. Sans jamais recourir à la fiction, il use pour raconter l’Histoire du XXe siècle de toutes les ressources de ce qu’on ne peut appeler qu’un style : nonchalance prétendue de la phrase, humour des juxtapositions, ironie vraie ou fausse, sens du rythme. Et, toujours, art de la construction, l’essentiel surgissant à l’arrière-plan de détails apparemment négligeables, voire dérisoires (voir Dernières nouvelles des bolcheviks, Gallimard, 2017 ou Plaidoyer pour les chiens, bâtards, fils de chiennes, Gallimard 2021).

    Tout cela contribue à un récit captivant et jubilatoire, où l’érudition, pour considérable qu’elle soit, a l’élégance de se faire discrète quand elle n’est pas malicieusement soulignée. De même, la dénonciation des massacres, des trahisons, de l’intolérance et de l’exploitation de l’homme par l’homme prend souvent le masque du détachement ou de l’humour noir. Elle n’en est que plus efficace.

     

     

    ©Philippe Videlier

     

     

               J’aurais tendance à penser que non seulement les livres parlent d’eux-mêmes mais qu’en principe et par nature ils sont conçus et construits à cette fin. Monte-Cristo plaide sa propre cause. Et Les Trois Mousquetaires. Et L’Île au trésor, et Le Dernier des Mohicans. Évidemment, Dumas m’intéresse en tant que personnage, et Robert Louis Stevenson qui livra aux flammes le premier jet du Dr Jekyll et M. Hyde sur un caprice de sa femme, et Fenimore Cooper qui fut nommé consul des États-Unis à Lyon.

               S’agissant de cette dernière nouvelle, elle était annoncée en première page du Bulletin de Lyon et du département du Rhône, le samedi 14 octobre 1826, sous forme lapidaire : « M. Fenimore Cooper, consul des États-Unis à Lyon, vient d’y arriver. Il a été installé dans ses fonctions le 9 de ce mois », immédiatement suivie d’une autre également intéressante et romanesque : « Le 11 de ce mois, on a trouvé dans l’allée d’une maison de la rue de la Gerbe une petite caisse exactement fermée, sur laquelle on avait dessiné une croix. L’ouverture en ayant été faite, on y a vu avec surprise un enfant mort, de trois mois environ. On présume qu’il appartenait à de pauvres gens qui ont voulu éviter ainsi les dépenses d’un enterrement. » Venait ensuite, d’importance équivalente, une annonce pour un chocolat philhygiène de bon goût, composé à Paris par le pharmacien Boutigny et placé en dépôt chez son confrère Gauthey tenant boutique d’apothicaire au numéro 8 de la rue Saint-Jean. On ignore en vérité si James Fenimore Cooper demeura à Lyon plus d’une journée, car il préférait vivre à Paris, nettement plus animé. (Il fut remplacé au poste de consul à Lyon par Cornelius Bradford qui avait une solide réputation d’escroc et mourut en Palestine, dans la ville sainte de Jérusalem, en prenant le frais le soir sur la terrasse d’un couvent. Les moines firent graver sur sa tombe en latin qu’il avait abjuré les erreurs de Luther et Calvin pour embrasser la véritable religion, catholique, apostolique et romaine, ce qui était faux. À escroc, comme on dit, escroc et demi.) Mais cela nous éloigne des Mohicans et d’Œil-de-Faucon qui n’ont besoin d’aucun commentaire de cette sorte.

                Dans son texte de 1881 La Moralité de la profession d’écrivain, composé à Davos, charmante station climatique helvétique perchée à 1 500 mètres d’altitude, Robert Louis Stevenson offrait ce conseil : « Aborder tous les sujets avec l’esprit le plus élevé, le plus honorable, le plus audacieux, dans le respect des faits, voilà le devoir d’un écrivain. » Je suis enclin à partager son opinion.

                Je ne jurerais pas de la probité d’Alexandre Dumas. On connaît trop le procès retentissant qui l’opposa à son nègre principal Auguste Maquet. Les avocats des deux parties étalaient en guise de preuves des correspondances privées. « Cher ami, du Chicot, trente ou quarante pages encore, puis si vous pouviez demain faire un chapitre de Maison-Rouge. Puis si vous pouviez, après-demain, venir déjeuner avec moi et prendre 500 francs nous ferions du Monte-Cristo. À vous, A. Dumas. » L’essentiel, pourtant, se trouve dans Monte-Cristo, dans Les Trois Mousquetaires, dans La Dame de Monsoreau. Le reste n’est qu’un surplus.

                Je place le livre avant l’écrivain.

                Le rapport que j’entretiens avec les miens est des plus curieux (à mon avis).

                Durant le temps de l’écriture, je suis totalement immergé dans l’histoire, le contexte, je vis avec les personnages, dont j’essaye de savoir tout, je ne parviens pas à m’en détacher ne fût-ce qu’une journée. Cela jusqu’à la parution. Ce peut être un bonheur, modéré néanmoins par l’attente de l’édition.

                Puis, d’un coup, sur l’heure, à la minute, ma relation au livre change : lorsque je le vois imprimé, en piles, sur la table, chez l’éditeur, lorsque je l’aperçois comme objet matériel, séparé de moi.

                Dès lors il appartient entièrement aux lecteurs. Je suis, bien sûr, heureux qu’ils lui fassent écho.

     

    Philippe Videlier

     

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