• Paysage avant la bataille

    Paysage avant la batailleLa chute des feuilles approche : la rentrée littéraire va s’abattre sur nous. Il y a un an « Le Monde des livres » la voyait dominée par la « veine autobiographique » et l’évocation de figures célèbres, et j’avais avancé j'avais avancé qu’une telle tendance, loin de signifier un recul de la fiction, marquait au contraire son triomphe comme moyen le plus sûr de tenir à distance le réel. La rentrée de cette année, à en croire le même organe, se place toujours sous « le sceau du vrai ». Mais en introduisant une catégorie nouvelle Raphaëlle Leyris change assez subtilement le paysage.


     

    Il y aurait cette fois, en gros, trois types d’ouvrages. À l’écriture de soi sous toutes ses formes et aux vies d’hommes illustres plus que jamais présentes s’ajouterait un nouveau venu, le roman-qui-se-passe-en-Amérique (ou dans une moindre mesure, mais c’est un peu la même chose, en Russie) : un nombre significatif d’auteurs choisiraient la « déterritorialisation » « pour retrouver la possibilité d’un roman renouant avec l’imagination ».

     

     

    Soi, les grands hommes et l’Amérique… Commençons par le plus simple : l’heureuse époque où l’imagination, en effet, se donnait carrière et galopait comme une folle dans de grands espaces vierges hérissés de cactus et barbouillés de crépuscule apparaît incontestablement aux yeux de bien des auteurs français comme une fabuleuse Amérique ; comment dès lors s’étonner que l’Amérique véritable, patrie du cinéma et des héros de notre enfance, leur semble le lieu idéal où implanter une fiction régénérée et rendue pour ainsi dire à son innocence naturaliste ? Le roman américain prêche lui-même souvent d’exemple, nous en reparlerons bientôt. Et Tanguy Viel vient de moquer avec subtilité et drôlerie la fascination qu’il exerce en Europe.

     

     

    À première vue, entre ces romans expatriés et ceux qui nous racontent la vie de grands personnages il y aurait l’opposition la plus radicale. Primat de l’imaginaire d’un côté, obsession de la réalité de l’autre. En fait, bien sûr, c’est la plupart du temps pareil : la littérature vue de toute façon comme moyen de raconter des histoires (de « s’emparer du monde », en termes plus choisis), une littérature toute transitive, qui s’abîmerait dans son objet et dont le langage transparent ne laisserait rien perdre du réel.

     

     

    Mais peut-être faut-il y regarder de plus près. C’est compliqué, la « fiction biographique »… Les uns profitent d’autres vies pour conter leur petite affaire — qu’ils n’ont même pas, avantage supplémentaire, à inventer. D’autres s’approprient le mode d’être et le langage du sujet choisi pour explorer celui-ci de l’intérieur — travail surtout possible évidemment quand il s’agit de « portraits » d’artistes, mais la méthode à mon avis peut s’exporter. Dans un cas comme dans l’autre c’est la stratégie du bernard-l’ermite, cependant les effets produits sont bien différents. Sous le manteau de saint Augustin, Claude Pujade-Renaud niche sa bluette (Dans l'ombre de la lumière) ; au contraire, Michael Kumpfmüller (La Splendeur de la vie) ou Serge Bramly (Orchidée fixe), sans prétendre décrire la psychologie du « héros », nous font partager sa façon de voir et de dire : manière de faire en sorte que sa vie nous concerne, et d’ouvrir un espace singulier entre le même et l’autre. L’écriture devient alors ce qu’elle devrait être toujours, travail d’investigation d’abord sur elle-même et approche par le langage de ce qui se dérobe à lui.

     

     

    Or dans le meilleur des cas, c’est à un tel travail que les romans du troisième type, ceux qui s’inscrivent dans les différentes formes de « l’écriture de soi », s’attachent aussi. Et le pire, on le sait, n’est pas toujours sûr…

     

     

    Au seuil de cette rentrée littéraire soyons donc optimistes, comme disait Coué. Aussi bien, que le panorama dont il vient d’être question offre l’image d’une « littérature tâtonnante », comment ne pas s’en réjouir ?

     

    P. A.

     

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